Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/199

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— Oui, et vous ne pouvez pas m’en empêcher, répondit Uriah. Quand on pense que vous venez m’attaquer, moi qui ai toujours été pour vous un ami véritable ! Mais, pour se disputer, il faut être deux, et je ne veux pas être un de ces deux-là. Je veux être votre ami, en dépit de vous. Maintenant, vous connaissez mes sentiments, et ce que vous avez à en attendre ! »

Nous étions forcés de baisser la voix pour ne pas troubler la maison à cette heure avancée, et jusque-là, plus sa voix était humble, plus la mienne était ardente, et cette nécessité de me contenir n’était guère propre à me rendre de meilleure humeur ; pourtant ma passion commençait à se calmer. Je lui dis tout simplement que j’attendrais de lui ce que j’en avais toujours attendu, et que jamais il ne m’avait trompé. Puis j’ouvris la porte par-dessus lui, comme s’il eût été une grosse noix que je voulusse écraser contre le mur, et je quittai la maison. Mais il allait aussi coucher dehors dans l’appartement de sa mère, et je n’avais pas fait cent pas, que je l’entendis marcher derrière moi.

« Vous savez bien, Copperfield, me dit-il, en se penchant vers moi, car je ne retournais pas même la tête, vous savez bien que vous vous mettez dans une mauvaise situation. »

Je sentais que c’était vrai, et cela ne faisait que m’irriter davantage.

« Vous ne pouvez pas faire que ce soit là une action qui vous fasse honneur, et vous ne pouvez pas m’empêcher de vous pardonner. Je ne compte pas en parler à ma mère, ni à personne au monde. Je suis décidé à vous pardonner, mais je m’étonne que vous ayez levé la main contre quelqu’un que vous connaissiez si humble. »

Je me sentais presque aussi méprisable que lui. Il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. S’il s’était plaint amèrement, ou qu’il eût cherché à m’exaspérer, cela m’aurait un peu soulagé et justifié à mes propres yeux ; mais il me faisait brûler à petit feu, et je fus sur le gril plus de la moitié de la nuit.

Le lendemain quand je sortis, la cloche sonnait pour appeler à l’église ; il se promenait en long et en large avec sa mère, il me parla comme s’il ne s’était rien passé, et je fus bien obligé de lui répondre. Je l’avais frappé assez fort, je crois, pour lui donner une rage de dents. En tout cas, il avait le visage enveloppé d’un mouchoir de soie noire, avec son chapeau perché sur le tout : ce n’était pas fait pour l’embellir.