Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/389

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de sa mère ; lors même que les défauts du fils, car vous ne les avez pas ménagés vous-même…

— C’est faux, s’écria-t-elle en arrachant ses cheveux noirs, je l’aimais !

— Lors même, repris-je, que ses défauts ne pourraient, dans un pareil moment, être bannis de votre souvenir, vous devriez du moins regarder cette pauvre femme comme si vous ne l’aviez jamais vue auparavant, et lui porter secours. »

Mistress Steerforth n’avait pas bougé, pas fait un geste. Elle restait immobile, froide, le regard fixe ; continuant à gémir de temps en temps, avec un faible mouvement de la tête, mais sans donner autrement signe de vie. Tout d’un coup, miss Dartle s’agenouilla devant elle, et commença à lui desserrer sa robe.

« Soyez maudit ! dit-elle, en me regardant avec une expression de rage et de douleur réunies. Maudite soit l’heure où vous êtes jamais venu ici ! Malédiction sur vous ! sortez. »

Je quittai la chambre, mais je rentrai pour sonner, afin de prévenir les domestiques. Elle tenait dans ses bras, la forme impassible de mistress Steerforth, elle l’embrassait en pleurant, elle l’appelait, elle la pressait sur son sein comme si c’eût été son enfant. Elle redoublait de tendresse pour rappeler la vie dans cet être inanimé. Je ne redoutais plus de les laisser seules ; je redescendis sans bruit, et je donnai l’alarme dans la maison, en sortant.

Je revins à une heure plus avancée de l’après-midi ; nous couchâmes le fils sur un lit, dans la chambre de sa mère. On me dit qu’elle était toujours de même ; miss Dartle ne la quittait pas ; les médecins étaient auprès d’elle ; on avait essayé de bien des remèdes, mais elle restait dans le même état, toujours comme une statue, faisant entendre seulement, de temps en temps, un gémissement plaintif.

Je parcourus cette maison funeste ; je fermai tous les volets. Je finis par ceux de la chambre où il reposait. Je soulevai sa main glacée et je la plaçai sur mon cœur ; le monde entier n’était pour moi que mort et silence. Seulement, par intervalles, j’entendais éclater le douloureux gémissement de la mère.