Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/37

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— Je le veux bien, dit Polly ; mais ce n’est pas une raison pour nous fâcher.

— Oh ! non, madame Richard, répondit Mlle  Salpêtre, je n’en ai pas la moindre envie ; ce n’est pas la peine de nous mettre sur ce pied-là, d’autant plus que la garde de Mlle  Florence n’est pas pour durer un jour, tandis que celle de M. Paul n’est que temporaire. »

Salpêtre dans ses discours ne connaissait pas les virgules ; elle lançait ce qu’elle avait à dire tout d’un trait et d’une seule haleine.

« Mlle  Florence ne fait que d’arriver, n’est-ce pas ? demanda Polly.

— Oui, madame Richard, elle ne fait que d’entrer : et vous, mademoiselle Florence, comment, il y a à peine un quart d’heure que vous êtes à la maison, et vous allez déjà noircir votre figure toute mouillée sur les beaux vêtements de deuil que Mme  Richard porte pour votre maman ? »

Après cette remontrance, la petite Salpêtre, dont le nom réel était Suzanne Nipper, arracha l’enfant des bras de sa nouvelle amie, comme on arrache une dent, d’une seule secousse. Pourtant, en agissant ainsi, elle paraissait seulement exercer ses fonctions officielles dans toute leur rigueur, mais il n’y avait pas chez elle méchanceté préméditée.

« Elle est bien contente d’être revenue, » dit Polly, dont la bonne grosse figure s’épanouissait ; puis, adressant un sourire amical à l’enfant, elle ajouta : « Elle va être bien heureuse de voir son cher papa, ce soir.

— Son cher papa ! madame Richard, dit Suzanne en secouant la tête, oh ! Dieu non, voir son cher papa, il ne manquerait plus que ça !

— Pourquoi pas ? dit Polly.

— Ah ! Dieu ! madame Richard, son papa est bien trop occupé d’un autre, et avant même d’être occupé de cet autre, il n’a jamais beaucoup gâté la petite. Les filles sont jetées de côté dans cette maison, madame Richard. »

Les yeux de l’enfant se portèrent vivement de la bonne à la nourrice, comme si elle eût compris et senti la portée de ces paroles.

« Vous m’étonnez, dit Polly ; est-ce que M. Dombey ne l’a pas vue depuis l’événement ?

— Non, répliqua Suzanne ; pas une fois depuis l’événement, et je crois qu’avant il y avait déjà bien des mois qu’il ne la