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Voilà une heure à peu près que l’on a abandonné la Cité, et que les omnibus roulent vers l’ouest le flot des déserteurs. Les rues, comme dit M. Gills, se sont joliment nettoyées. De gros nuages présagent la pluie pour le soir. Tous les baromètres de la boutique sont bas et déjà quelques gouttes d’eau brillent sur le chapeau à trois cornes du petit bonhomme de bois.

« Où diantre est passé Walter ? dit M. Solomon, après avoir rengainé avec soin son chronomètre. Le dîner est prêt depuis une demi-heure, et pas de Walter ! »

Là-dessus, M. Gills rentre derrière son comptoir, et regarde à travers les instruments de l’étalage, s’il ne verra pas venir son neveu. Mais il ne reconnaît pas sa figure sous les parapluies qui se balancent déjà dans la rue. Voilà bien un jeune homme qui passe ; mais ce n’est pas Walter, c’est le porteur de journaux, avec son imperméable, qui flâne devant la boutique, s’amusant avec son index à écrire son nom au-dessus du nom de M. Gills le long de la plaque de cuivre extérieure.

« Si je ne savais pas qu’il m’aime trop pour faire une escapade, et s’engager à bord d’un navire malgré moi, je commencerais à m’inquiéter, dit M. Gills en frappant légèrement du revers de ses doigts deux ou trois baromètres. Oui, vraiment, je serais inquiet, » et M. Gills de fredonner : la, la, la ! sur la vague écumante…puis, en s’interrompant de lui-même. « Tiens ! dit-il, voilà la pluie ! Tant mieux, c’est ce qu’il faut. Je crois, continue M. Gills, en soufflant sur le verre d’une petite boussole pour en chasser la poussière, je crois, ma petite boussole, que votre aiguille fait comme mon neveu ; elle n’incline guère du côté de la salle à manger, et pourtant la salle à manger est au nord, plein nord, elle ne s’en écarte pas de la vingtième partie d’un degré.

— Hé ! l’oncle Sol !

— Hé ! mon neveu, cria l’opticien en se retournant vivement. Quoi ! c’est vous ; est-ce bien vous ? »

C’était bien Walter ; sa bonne et joyeuse figure, plus fraîche encore sous la pluie qu’il avait reçue en revenant à la maison, ses traits réguliers, ses yeux brillants, ses cheveux frisés.

— Eh ! bien, mon oncle, comment avez-vous passé la journée sans moi ? Le dîner est-il prêt ? Je meurs de faim.

— Oh ! oh ! dit Solomon d’un ton amical, ce serait bien le diable si je ne pouvais me passer d’un jeune drôle comme vous. Quant au dîner, mon neveu, il y a une demi-heure qu’il