Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/52

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rattraper. Le bruit même qu’il fait au loin devant moi m’étonne et m’étourdit. »

Walter allait parler, son oncle l’arrêta d’un geste.

« Aussi, Walter, aussi, je désire que vous entriez à temps dans le monde des affaires et que vous y suiviez le monde à la course. Pour moi, je ne suis plus que l’ombre de mon commerce : la réalité a disparu depuis longtemps, et quand je ne serai plus, l’ombre aussi se sera évanouie. Comme vous n’avez pas d’héritage à espérer, j’ai pensé qu’il fallait profiter pour vous du peu d’amis qu’une longue habitude m’a conservés. Quelques personnes s’imaginent que je suis riche : je le voudrais pour vous, Walter ; mais, quoi que je laisse après moi, ou quoi que je puisse vous donner, dans une maison comme celle de Dombey vous pourrez en tirer et vous en tirerez le meilleur parti possible. Soyez actif, mon enfant, prenez goût aux affaires, travaillez pour gagner une solide indépendance et puissiez-vous être heureux !

— Je ferai tout mon possible pour me montrer digne de votre affection, dit le jeune homme avec sentiment, oui tout, mon cher oncle.

— Je le sais, dit Solomon, j’en suis sûr, et il se versa un second verre de son vieux madère qu’il but avec plus de plaisir encore que le premier. Quant à la mer, mon enfant, c’est beau en rêve, mais de fait cela ne mène à rien, à rien du tout. Il est assez naturel cependant que vos idées se soient tournées de ce côté, entouré comme vous l’êtes de tout ce qui a rapport à la mer ; mais, croyez-moi, c’est une mauvaise partie, tout à fait mauvaise. »

Solomon Gills se frottait pourtant les mains avec un secret plaisir, en parlant de la mer, et il regardait avec une joie inexprimable les objets maritimes disposés tout autour de la chambre.

« Songez à ce vin, par exemple, dit le vieux Sol, il est allé aux grandes Indes et en est revenu, je ne sais combien de fois ; il a même fait le tour du monde ; mais quelles nuits sombres ! quels vents affreux ! quels ouragans terribles !…

— Oh ! oui, s’écria le jeune homme, le tonnerre, les éclairs, la pluie, la grêle et tout le tremblement.

— Certes, dit Solomon, ce vin a vu tout cela. Le navire résiste, les mâts craquent, dans les cordages siffle et mugit la tempête.

— Les matelots grimpent ; c’est à qui atteindra le premier