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de se donner un rival ou un égal, qui lui diminuerait sa part de respect et de déférence filiale ; la triste expérience, toute récente encore qu’il avait faite, qu’il n’était pas infaillible dans l’art de plier à son gré et d’enchaîner les volontés des autres, une amère appréhension d’un nouvel échec ou d’une autre contrariété, telles étaient alors les pensées qui agitaient son cœur. Dans le cours de sa vie il ne s’était pas fait un ami. Sa nature froide et réservée n’en avait ni cherché, ni rencontré ; et maintenant, ce caractère de glace, qui avait concentré toute sa force sur un seul point d’intérêt et d’orgueil paternels, au lieu de fondre à la douce influence d’une pensée de tendresse, semblait ne s’être détendu et dégelé que le temps de s’assimiler son précieux dépôt, pour qu’ils pussent après se congeler ensemble en une masse impénétrable, et ne former qu’un tout indivisible.

Élevée ainsi, en raison même de son peu d’importance à la dignité de marraine du petit Paul, miss Tox fut, à partir de ce moment même, choisie et nommée pour en remplir les fonctions. M. Dombey témoigna en outre son désir que la cérémonie, depuis longtemps différée, se terminât sans plus de retard. Mme Chick qui n’avait pas espéré un si prompt succès, se hâta d’aller prévenir sa bonne amie de l’heureuse nouvelle et M. Dombey resta seul dans son cabinet.

Ce soir-là, il y eut un grand mouvement dans la chambre des enfants. Mme Chick et miss Tox s’y étaient réunies pour se réjouir en commun ; mais leur joie n’était pas partagée par Mlle Suzanne Nipper qui ne laissa échapper aucune occasion de leur faire des grimaces derrière la porte pour leur témoigner tout son dégoût. Ses nerfs étaient si agacés qu’elle crut leur devoir ce soulagement, même sans avoir l’espérance de se sentir encouragée par la présence ou la sympathie d’aucun témoin. Tels autrefois les chevaliers errants trouvaient un adoucissement à leur peine en gravant le nom de leurs maîtresses dans les déserts, dans les solitudes, dans les lieux sauvages, partout enfin où il n’était pas probable qu’il se trouvât jamais personne pour les lire, telle Mlle Suzanne Nipper allait froncer son petit nez retroussé dans les tiroirs et dans les armoires, lançait en coulisse dans les buffets des coups d’œil mécontents et tirait la langue dans les pots et dans les cruches, fouillant tout, brouillant tout, dans sa mauvaise humeur.

En attendant, les deux intruses, sans se douter du mécontentement de Suzanne, assistèrent au déshabillé du petit Paul