Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/79

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transformé en Restaurant du chemin de fer et offrait chaque jour à ses habitués un rôti de porc frais. Toutes ces spéculations prenaient leur origine dans les mêmes motifs d’intérêt. Les logeurs en garni auraient pu réussir aussi, mais, vu l’état misérable de la population, ils n’espéraient pas grand succès. La confiance venait lentement. Ce n’était, autour du chemin de fer que champs incultes, étables à vache, tas de fumier, monceaux d’ordures, fossés, petits jardins, vide-bouteilles, terrains à battre les tapis. Suivant la saison, des écailles d’huîtres, des carcasses de homards, et en tout temps des pots cassés, des choux pourris envahissaient les hauteurs. Des poteaux, des rails, de vieilles barrières destinées à faire respecter la propriété, des maisons de triste apparence vues par derrière, quelques arbres rabougris regardaient ces travaux toute la journée avec un air de curiosité moqueuse. Enfin on n’en attendait rien de bon ; et si le vaste et misérable terrain qui l’avoisinait avait pu rire, il s’en serait donné tout à son aise, avec ses misérables habitants pour se moquer lui-même de l’entreprise.

Staggs-Gardens était des plus incrédules. C’était une rangée de petites maisons, entourées de petits morceaux de terrains malpropres par-devant ; les uns défendus par de vieilles portes, les autres par des douves, par des lambeaux de toile goudronnée ou par des fagots, et dont les crevasses étaient bouchées par de vieilles marmites sans fond ou par des garde-feu usés jusqu’à l’âme. C’était dans ces petits enclos que les habitants de Staggs-Gardens cultivaient des haricots rouges, nourrissaient des lapins et des poules, construisaient de petites maisonnettes en planches pourries (dont l’une, par exemple, était un vieux bateau), étendaient leur linge et fumaient leur pipe. Quelques personnes pensaient que Staggs-Gardens tirait son nom d’un capitaliste, un certain M. Staggs, mort depuis de longues années, et qui avait bâti ce quartier pour son agrément particulier. D’autres, qui avaient les goûts naturellement champêtres, prétendaient que l’origine en devait remonter au temps où les troupeaux de daims, de biches et de cerfs, sous le nom général de Staggs, avaient fréquenté ces lieux ombragés. Quoi qu’il en soit, Staggs-Gardens était regardé par ses habitants comme un lieu sacré que les chemins de fer devaient respecter. Chacun était si persuadé qu’il survivrait à toutes ces inventions ridicules, que le maître ramoneur du coin, le grand politique de l’endroit, annonça officiel-