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L’AMI COMMUN

« Oui, Betty, dit missis Boffin, qui avait accompagné le secrétaire, et dont la radieuse figure souriait à missis Higden, je suis d’accord avec vous ; seulement je partirais, et je ne m’enfuirais pas.

— Comme vous voudrez, répliqua Betty ; mais en se sauvant, cela serait moins pénible pour Salop, et pour moi, ajouta-t-elle en secouant la tête.

— Quand voulez-vous partir ?

— Le plus tôt possible, chère dame ; aujourd’hui ou demain. J’y suis bien habituée ; il n’y a guère d’endroits que je ne connaisse autour de chez nous ! J’ai travaillé plus d’une fois dans les houblonnières et dans les jardins, quand je n’avais pas d’ouvrage.

— Si je consens à votre départ, Betty, ce qui vous est dû, à ce que prétend mister Rokesmith… (la vieille femme remercia le secrétaire par une gracieuse révérence), c’est à condition que vous nous donnerez de vos nouvelles.

— Soyez tranquille, chère dame ; je ne vous enverrai pas de lettre, parce que dans ma jeunesse on n’apprenait guère à écrire ; mais je viendrai de temps en temps. N’ayez pas peur que je manque l’occasion de voir votre aimable figure. Ensuite, ajouta Betty dans sa probité, j’ai de l’argent à vous rendre, que je vous remettrai par petites sommes ; et cela me ramènerait toujours, quand même je ne viendrais pas pour autre chose.

— Il faut donc que cela se fasse ? demanda missis Boffin d’un air de regret.

— Je le crois, » dit Rokesmith.

La chose étant convenue, Bella fut appelée pour prendre note des objets qui devaient composer le fonds de commerce de missis Higden.

« Ne vous inquiétez pas pour moi, chère demoiselle, dit la vieille femme en observant la figure de Bella. Quand je m’assiérai, propre et alerte, sur un marché pour y vendre mon fil et mes aiguilles, je vous gagnerai une pièce de six pence en un tour de main comme pas une des fermières qui seront là. »

Rokesmith profita de l’occasion pour avoir quelques renseignements sur les aptitudes de Salop.

« Si on avait eu de l’argent pour lui faire apprendre un état répondit missis Higden, ç’aurait été un fameux ébéniste. »

Elle l’avait vu plus d’une fois manier des outils qu’il avait empruntés, soit pour raccommoder la manivelle, soit pour rafistoler un meuble, et il s’en acquittait d’une manière surprenante. Quant à fabriquer avec son couteau des joujoux pour les minders il le faisait tous les jours. Une fois, plus de douze personnes