Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/145

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en faveur d’Obenreizer, le hasard vint en ajouter une autre, lorsqu’ils arrivèrent à Bâle, après un trajet deux fois plus long que de coutume.

Ils avaient fini de dîner fort tard, et ils étaient seuls dans une chambre d’auberge. Le Rhin coulait au pied de la maison, profond, rapide, bruyant, grossi par les neiges. Vendale était nonchalamment étendu sur un canapé. Obenreizer marchait de long en large, s’arrêtait par moment devant la fenêtre, regardait, dans les eaux noires, le reflet tortueux des feux de la ville et peut-être se disait-il :

— Si je pouvais l’y jeter !

Puis il reprenait sa promenade à travers la chambre, les yeux baissés.

— Où le volerai-je, si je le peux ?… Où le tuerai-je, s’il le faut ?…

Et le fleuve roulait, roulait, semblant répéter ces paroles comme un refrain de mort, dont le bruit devint si distinct aux oreilles du Suisse qu’il s’arrêta brusquement encore une fois, pensant qu’il ferait mieux de se parler à lui-même de toute autre chose.

— Où le volerai-je, si je le peux ?… Où le tuerai-je, s’il le faut ?…

Obenreizer changea tout à coup de refrain.

— Le Rhin mugit ce soir, — dit-il en songeant, — comme la vieille cascade de chez nous. Je vous ai déjà parlé de cette cascade que ma mère montrait aux voyageurs. Le bruit en changeait selon le temps qu’il faisait, ainsi que celui de toutes les chutes d’eau et de toutes les eaux courantes. Lorsque je devins