Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Comment la trouvez-vous ? — dit Obenreizer.

— Un arrière-goût âcre et brutal, — dit-il, en rendant le verre et en frissonnant. — Elle ne me plaît pas.

— Vous avez raison, — fit Obenreizer, ayant l’air de la goûter à son tour et faisant claquer ses lèvres. — Quel arrière-goût ! Brrr… Elle brûle pourtant.

Il venait, en effet, de jeter au feu ce qui restait dans le verre.

Les deux compagnons mirent leurs coudes sur la table, leurs têtes dans leurs mains, et, ainsi placés, regardèrent la flamme. Obenreizer était pensif et calme ; mais Vendale, après plusieurs tressaillements et soubresauts nerveux, se dressa tout à coup sur ses pieds, regarda autour de lui d’un air égaré, et retomba sur sa chaise, en proie à une étrange confusion de rêves.

Il avait enfermé ses papiers dans un portefeuille et le tenait dans la poche de poitrine de son habit qu’il avait boutonné jusqu’au menton. Pourquoi, dans cette sorte de léthargie où il était plongé, la pensée de ces papiers le tourmentait-elle ? « Sors de ton rêve, » lui disait une voix intérieure. Il ne le pouvait. Ce rêve l’avait transporté dans les steppes de la Russie, et il s’y voyait avec Marguerite ; mais en même temps, la sensation d’une main qui se promenait sur sa poitrine, et qui effleurait les contours du portefeuille, cette sensation insupportable se présentait nette et claire à son esprit engourdi. Son rêve le conduisit en pleine mer, dans un bateau qui n’avait pas de pont. Il n’avait pour tout vêtement qu’un