Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/67

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Madame Dor. Ce regard, bien que rapide comme l’éclair, l’inquiéta, et il se mit à observer la vieille dame.

— Le hasard a voulu, — dit-il, que je devinsse l’associé d’une maison de commerce de Londres, à laquelle Monsieur Obenreizer a été recommandé aujourd’hui même par une maison de commerce Suisse, où nous avons des intérêts communs. Ne vous en a-t-il rien dit ?

— Ma foi non ! — s’écria Obenreizer, rentrant dans la conversation et cette fois sans son nuage. — Je m’en serais bien gardé. Le monde est si petit, si monotone, qu’il vaut toujours mieux laisser aux gens le plaisir bien rare d’une surprise. C’est une agréable chose qu’une surprise sur notre petit bonhomme de chemin. Tout cela est arrivé comme vous le dit Monsieur Vendale, Mademoiselle Marguerite. Monsieur Vendale, qui est d’une famille si distinguée et d’une si fière origine, n’a point dédaigné le commerce. Vraiment, il fait du commerce, tout comme nous autres, pauvres paysans, sortis des bas-fonds de la pauvreté. Après tout, c’est flatteur pour le commerce, — reprit Obenreizer avec chaleur, — les hommes comme Monsieur Vendale ne peuvent que l’ennoblir. Ce qui fait le malheur du commerce et sa vulgarité, c’est que les gens de rien… nous autres par exemple, pauvres paysans… nous puissions nous y adonner et par lui arriver à tout. Voyez-vous, mon cher Vendale, le père de Mademoiselle Marguerite, l’aîné de mes frères du premier lit, qui aurait plus du double de mon âge s’il vivait, partit de nos montagnes, en haillons, sans souliers, et il se trouva d’abord bien heureux d’être nourri