Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/68

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avec les chiens et avec les mules dans une auberge de la vallée. Il y fut garçon d’écurie, garçon de salle, cuisinier. Il me prit alors et me mit en apprentissage chez un fameux horloger, son voisin. Sa femme mourut en mettant Mademoiselle Marguerite au monde. Il ne vécut pas longtemps lui-même. Marguerite n’était plus une enfant et n’était pas encore une demoiselle. Je reçus ses dernières volontés et sa recommandation au sujet de sa fille : « Tout pour Marguerite, » me dit-il, « et tant par an pour vous. Vous êtes jeune, je vous fais pourtant son tuteur ; ne vous enorgueillissez jamais de son bien et du vôtre, si vous en amassez. Vous savez d’où nous venons tous les deux ; nous avons été l’un et l’autre des paysans obscurs et misérables et vous vous en souviendrez. » Si je m’en souviens !… Tous deux paysans, et il en est ainsi de tous mes compatriotes qui font aujourd’hui le commerce dans Soho Square. Paysans !… tous paysans !…

Il éclata de rire, tout en étreignant les coudes de Vendale.

— Voyez ! — s’écria-t-il, — voyez quel avantage et quelle gloire pour le commerce d’être rehaussé par des gentlemen tels que vous !

— Je n’en juge pas ainsi, — fit Marguerite en rougissant et fuyant le regard de Vendale avec une expression craintive, — je pense que le commerce n’est point du tout déshonoré par des gens d’obscure origine comme nous….

— Fi ! fi ! Mademoiselle Marguerite, — dit Obenreizer, — c’est dans l’aristocratique Angleterre que vous tenez un pareil langage !