Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

actions généreuses faites sans prétention et sans une ombre d’orgueil ; aussi, quand vous les voyez, honorez-les pareillement avec reconnaissance. Car si vous ne les honorez pas et que l’occasion vous échappe, on dira tant pis pour vous, et à qui la faute ? »

M. Naudy répondit en ces termes au discours de son gendre :

« Je suis tout à fait de ton avis, Thomas, et comme nous sommes tous deux du même avis, il n’y a pas besoin d’en dire davantage ; je ne cache pas mon opinion, et je te le déclare oui, Thomas, oui, nos deux opinions doivent être celles de tout le monde unanimement, car, dès qu’il n’y a pas de différence d’opinion, il ne peut y avoir deux opinions, non, Thomas, non. »

Arthur, avec moins de cérémonie, dit qu’il était flatté de la façon dont on accueillait une attention aussi simple. Quant au thé, il expliqua qu’il n’avait pas encore dîné et qu’il allait tout droit chez lui pour se restaurer, après une longue journée de travail, sans quoi il eût volontiers accepté l’offre hospitalière de Mme  Plornish. Comme M. Pancks chauffait à grand bruit sa vapeur avant de prendre congé, Clennam lui demanda s’il voulait bien faire route avec lui. M. Pancks ayant répondu que ce serait avec le plus grand plaisir, les deux visiteurs quittèrent ensemble l’heureuse chaumière.

« Si vous vouliez bien pousser la complaisance jusqu’à m’accompagner chez moi, Pancks, dit Arthur lorsqu’ils se trouvèrent dans la rue, et partager avec moi la fortune du pot, ce serait presque un acte de charité ; car je suis las, et je ne me sens pas du tout dans mon assiette ce soir. »

— Volontiers, répondit M. Pancks. Je regrette seulement que vous n’ayez pas un plus grand service que celui-là à me demander ; je vous le rendrais de bon cœur. »

Il s’était établi entre Clennam et cet excentrique personnage un accord tacite qui était devenu de plus en plus sympathique depuis le soir où M. Pancks avait joué à saute-mouton avec M. Rugg dans la cour de la prison. Le jour mémorable où la voiture avait emporté le Doyen et sa famille, Pancks et Clennam l’avaient suivie des yeux et s’étaient retirés ensemble. La première fois que la petite Dorrit avait donné de ses nouvelles, personne ne les avait écoutées avec plus d’intérêt que le remorqueur du Patriarche. Dans sa seconde épître (que Clennam venait de serrer dans la poche de son habit) la jeune fille avait nommé M. Pancks en toutes lettres. Quoique jamais il n’eût fait aucune protestation à Clennam, et que ce qu’il venait de dire fut très-simplement dit, Clennam se figurait depuis longtemps que M. Pancks, dans ce qu’il était, commençait à avoir de l’amitié pour lui. Tous ces petits liens réunis faisaient ce soir-là de M. Pancks un maître câble, pour jeter l’ancre au repas en commun.

« Je suis tout seul, expliqua Arthur tandis qu’ils cheminaient ensemble. Mon associé est en voyage, occupé loin d’ici de cette partie de nos affaires qui le regarde spécialement, et vous pourrez vous mettre à votre aise.