Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/154

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nous voir obligées de travailler encore pour vivre chichement, que de te voir riche en épouser M. Sparkler.

— Que je te laisse dire, ma chère ? riposta Fanny. Mais certainement, je te laisserai dire tout ce que tu voudras. Je ne te fais pas peur, j’espère ? Et quant à épouser M. Sparkler, je n’ai pas la moindre intention de l’épouser ce soir, ni même demain matin.

— Mais plus tard ?

— Pas que je sache, pour le moment du moins, » répondit Fanny d’un ton insouciant.

Puis, d’insouciante, elle devint tout à coup d’une agitation bouillante et ajouta :

« Tu parles d’hommes spirituels, petite chatte ! Tout cela est bel et bon en paroles ; mais où sont-ils, les hommes spirituels ? Je n’en vois pas un seul s’approcher de moi !…

— Ma chère Fanny, en si peu de temps…

— Que ce soit longtemps ou peu de temps, interrompit Fanny, je suis lasse de notre position, je n’aime pas notre position, et il ne faudrait pas grand’chose pour m’engager à en changer. Des jeunes filles, élevées autrement que moi et dans une situation bien différente sous tous les rapports, pourront s’étonner de ce que je fais ou de ce que je dis. Eh bien ! qu’elles s’en étonnent tant qu’elles voudront, libre à elles ! Elles sont entraînées par leur éducation et leur caractère… moi aussi.

— Fanny, chère Fanny, tu sais que tu as des qualités qui te rendent digne d’un mari bien supérieur à M. Sparkler.

— Amy, chère Amy, riposta Fanny parodiant l’intonation de sa sœur, je sais que je voudrais bien me voir dans une position plus nette et plus décidée, ne fût-ce que pour être plus à même de tenir tête à cette insolente Mme  Merdle.

— Et c’est pour cela… pardonne-moi cette question… que tu épouserais son fils ?

— Peut-être ! répondit Fanny avec un sourire de triomphe. On pourrait trouver un plus mauvais moyen que celui-là pour arriver au but que je me propose, ma chère. Cette impertinente dame s’imagine sans doute que ce serait un grand succès pour elle que de trouver une femme comme moi pour son fils, et elle compte me dominer. Mais peut-être qu’elle ne se doute guère du fil que je lui donnerais à retordre si je devenais sa belle-fille. Je lui résisterais en toute chose et je deviendrais sa rivale. Ce serait là le but de ma vie. »

Fanny, arrivée là, posa son flacon sur la toilette et se mit à se promener dans la salle, s’arrêtant par intervalles, mais sans s’asseoir, lorsqu’elle parlait.

« Il y a toujours une chose que je pourrais faire, mon enfant : je pourrais la vieillir. Et je n’y manquerais pas, je t’en réponds ! »

Cette menace fut suivie d’une autre petite promenade.

« Je parlerais toujours d’elle comme d’une vieille maman. Je ferais semblant de savoir (quand même je n’en saurais rien, mais d’ailleurs son fils me l’apprendrait)… son âge exact. Et elle m’en-