Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/155

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tendrait lui dire, Amy avec beaucoup d’affection et de respect, tu sais : « comme elle a bonne mine pour son âge ! » Je pourrais la vieillir sans cela, rien que parce que je suis jeune. Il est possible que je ne sois pas aussi belle que Mme  Merdle ; je ne suis pas assez désintéressée dans la question pour la décider moi-même, je suppose ; mais je sais que je suis assez jolie pour la tenir sur les épines du matin jusqu’au soir. Et je n’y manquerais pas non plus, va ! »

Et elle recommença à se promener dans la chambre.

« Ma chère sœur, est-ce que tu voudrais te condamner à mener une existence malheureuse pour arriver à un pareil résultat ?

— Ce ne serait pas une existence malheureuse pour moi, Amy ; c’est celle qui me convient le mieux. Que ma nature ou le concours des circonstances l’ait voulu ainsi, peu importe : toujours est-il que cette existence-là me conviendrait mieux que toute autre. »

Il y avait dans son ton de l’amertume et du regret, mais avec un petit éclat de rire orgueilleux elle reprit sa promenade, et, après avoir passé devant une psyché, elle poursuivit :

« Sa tournure ! sa tournure, Amy ! Eh bien ! j’en conviens, elle est bien faite. Je veux lui rendre cette justice. Mais est-elle donc si bien faite que personne ne puisse rivaliser avec elle ? Ma parole d’honneur, j’en doute ! Que le mariage vienne seulement donner à des femmes beaucoup plus jeunes la même latitude qu’elle a pour sa toilette, et nous verrions un peu, ma chère ! »

Cette idée agréable et flatteuse la ramena de meilleure humeur à son fauteuil. Elle prit les mains de sa sœur dans les siennes et les frappa l’une contre l’autre en les élevant au-dessus de sa tête, tandis qu’elle la regardait en riant :

« Et la danseuse, Amy, la danseuse qu’elle a si complétement oubliée… la danseuse qui ne me ressemble en rien, et que je ne lui rappelle jamais, oh ! non, jamais !… danserait sans cesse devant elle et lui chanterait un air qui troublerait un peu son calme insolent. Rien qu’un peu, ma chère, un tout petit peu. »

Rencontrant le regard sérieux et suppliant d’Amy, elle abaissa les quatre mains et retira une des siennes pour la poser sur la bouche de sa sœur.

« Surtout ne t’avise pas de raisonner avec moi, mon enfant, continua-t-elle d’un ton beaucoup moins enjoué, parce que ce serait parfaitement inutile. Je comprends ces choses-là beaucoup mieux que toi. Je suis loin d’avoir pris une résolution, mais il se peut que j’en prenne une. Maintenant que nous avons discuté la question comme deux bonnes sœurs, nous pouvons aller nous coucher. Bonsoir, la meilleure et la plus chérie des petites chattes. »

Ce fut ainsi que Fanny prit congé de son ancre de salut, et (après s’être laissé conseiller comme on a vu) cessa, pour le moment, de demander l’avis de la petite Dorrit.

À partir de ce moment, Amy remarqua la façon dont M. Sparkler était accueilli par sa tyrannique maîtresse, et, chaque jour, elle découvrit de nouvelles raisons de prendre la chose au sérieux. Il y