Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/190

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« Vous m’avez demandé si je ne me rendais pas compte de la disparition de cet homme, lui rappela Mme  Clennam avec beaucoup de roideur, et non pas si je pouvais vous en rendre compte à vous, monsieur. Il me semble que je ne suis pas plus tenue de répondre à une pareille question que vous n’avez le droit de me l’adresser. »

M. Dorrit s’excusa en s’inclinant. Comme il se levait et s’apprêtait à dire qu’il n’avait plus rien à demander, il ne put s’empêcher de remarquer le regard sombre que Mme  Clennam fixait sur le plancher d’un air d’attente résolue, et la même expression reflétée par les traits de Jérémie qui, debout auprès du fauteuil à roulettes, les yeux également fixés par terre, se caressait le menton de la main droite.

Au même instant, Mme  Jérémie (la femme au tablier, cela va sans dire) laissa tomber le chandelier qu’elle tenait et s’écria :

« Là ! Dieu du ciel ! Encore ! Écoute, Jérémie !… là. »

Le bruit, s’il y en avait, était si léger qu’il fallait que Mme  Jérémie eût toujours l’oreille au guet ; M. Dorrit se figura néanmoins entendre un son presque imperceptible, assez semblable au bruit que font des feuilles sèches en tombant. La terreur de la vieille femme parut, pendant une ou deux minutes, avoir gagné tout le monde, et ils se mirent à écouter.

Jérémie fut le premier à se remuer.

« Ma vieille, dit-il, se rapprochant d’elle en marchant de côté, les poings fermés et les coudes tremblant d’impatience de secouer la malheureuse Mme  Jérémie, nous recommençons donc nos vieilles plaisanteries ? Vous allez vous remettre à faire la somnambule, à vous promener tout éveillée et répéter vos tours ! Allons, je vois bien qu’il vous faut une médecine. Lorsque j’aurai reconduit monsieur, je vous en ferai avaler une dose, ma vieille… une dose qui vous fera un bien, voyez-vous !… »

Cette promesse ne parut pas procurer à Mme  Jérémie un soulagement immédiat ; mais M. Flintwinch, sans autre allusion à sa médecine réconfortante, prit un chandelier sur la table de Mme  Clennam et dit :

« Eh bien, monsieur, voulez-vous que je vous éclaire jusqu’en bas ? »

M. Dorrit remercia et descendit. M. Flintwinch ferma la porte derrière lui et tira les verrous sans perdre un moment. Le visiteur, en sortant, eut à subir une seconde inspection de la part des deux hommes qui l’avaient déjà examiné et qui passèrent devant lui comme ils avaient fait la première fois ; puis il monta dans son cabriolet et se fit reconduire chez lui.

À peu de distance de là, le cocher s’arrêta pour lui dire que les deux hommes en question l’avaient sommé de donner son nom, son numéro et son adresse, ainsi que l’adresse où il avait pris M. Dorrit ; l’heure à laquelle on l’avait envoyé chercher et le chemin qu’il avait suivi. Cette nouvelle ne contribua pas à diminuer l’impres-