Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/192

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maintenir sa position. Je suis convaincu que vous ne tromperez pas son espoir.

— Non, papa, répliqua Fanny, je crois que vous avez raison de compter sur moi. Embrassez notre chère Amy pour moi, et dites lui que je lui écrirai bientôt.

— N’avez-vous rien à faire dire à… hem !… une autre personne ? demanda M. Dorrit d’un ton insinuant.

— Papa, répondit Fanny, devant qui l’image de Mme  Général se dressa tout à coup, non, je vous suis bien obligée. Merci, cher papa ; si j’avais une autre commission à vous donner, il serait possible qu’elle ne vous fût pas agréable. »

Les adieux se firent dans un salon extérieur, où M. Sparkler attendait avec soumission le moment de donner une poignée de main à son beau-père. Lorsque ce jeune gentleman fut admis à l’honneur de prendre congé du voyageur, M. Merdle se glissa après lui avec si peu de bras dans ces manches, qu’on aurait pu le prendre pour le frère jumeau de la célèbre Mlle  Biffin, et insista pour reconduire M. Dorrit jusqu’au bas de l’escalier. Malgré ses protestations, en effet, M. Dorrit fut reconduit jusqu’à la porte d’entrée par cet homme distingué qui, selon les propres termes de son hôte au départ, lorsqu’il lui serra une dernière fois la main, l’avait vraiment comblé d’attentions et de services pendant toute la durée de son mémorable séjour. Ce fut ainsi qu’ils se quittèrent. M. Dorrit monta en voiture, la poitrine gonflée d’orgueil, enchanté que le courrier (qui de son côté était descendu faire ses adieux dans les régions inférieures[1]) fût témoin de la grandeur de ce départ.

La grandeur de son départ l’enivrait encore lorsqu’il regagna l’hôtel. Le courrier et une demi-douzaine de valets se précipitèrent à la portière pour le recevoir ; et déjà il traversait l’antichambre d’un air magnifique et serein, lorsqu’un spectacle inattendu le frappa tout à coup de mutisme et de stupeur… John Chivery, revêtu de sa toilette la plus resplendissante, son grand chapeau sous le bras, ne sachant quelle contenance faire, comme le veut la mode, avec sa canne à bec d’ivoire et un paquet de cigares à la main !

« Eh bien, jeune homme, dit le concierge de l’hôtel, voici la personne que vous demandez…. Ce jeune homme a voulu attendre à toute force, monsieur, disant que vous seriez bien aise de le voir. »

M. Dorrit lança au jeune homme un regard furibond, faillit étouffer de colère, et lui dit d’un ton doucereux :

« Ah, John… Mais oui, c’est le jeune John, si je ne me trompe. N’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, répondit le jeune John.

— Je… ha !… je ne me trompais pas ! ajouta M. Dorrit. Ce

  1. On sait que, dans la plupart des maisons anglaises, les cuisines et les offices se trouvent au-dessous du rez-de-chaussée. (Note du traducteur.)