Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/196

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Rochester, tondu à Sittingbourne et écorché à Canterbury. Cependant, comme c’était le courrier qui était chargé de tirer son maître des mains de ces bandits, ce fut le courrier qui le rançonna le mieux à chaque étape ; aussi les vestes rouges continuèrent à galoper gaiement à travers le paysage printanier, s’élevant et s’abaissant en cadence sur leur selle, entre M. Dorrit enfoncé dans son bon petit coin, et la prochaine colline de la route poudreuse.

Encore un jour et le soleil retrouvera notre voyageur à Calais. Maintenant que la Manche le séparait de John Chivery, il commença à se rassurer et à trouver que l’air du continent était bien moins lourd que celui de l’Angleterre.

Le voilà reparti sur la route raboteuse de Calais à Paris. Comme il avait retrouvé toute sa bonne humeur, du fond de son bon petit coin, il se mit à bâtir quelque petit château en Espagne en courant la poste. Ce n’était pas un petit château, vraiment ! toute la journée il n’était occupé qu’à y construire des tours, à en démolir d’autres, à ajouter une allée par-ci, un créneau par-là, inspectant les murailles, consolidant les remparts, ornant l’intérieur d’une foule d’enjolivements ; en un mot, il en faisait un château magnifique. Son visage préoccupé trahissait si clairement le sujet de ses pensées, que les mendiants invalides (hormis les aveugles) rassemblés devant la poste aux chevaux, qui présentaient à la portière une petite tirelire bosselée en demandant la charité au nom du ciel, la charité au nom de la Vierge, la charité au nom de tous les saints, devinaient l’occupation du voyageur, aussi bien qu’aurait pu le faire leur compatriote Le Brun, s’il eût choisi le touriste anglais pour en faire le sujet d’un traité de physiognomonie spécial.

Arrivé à Paris, où il se reposa trois jours, M. Dorrit se promena beaucoup dans les rues de la grande ville, s’arrêtant devant les magasins et surtout devant les joyaux en montre chez les bijoutiers. Enfin il entra chez un joaillier en renom, et lui dit qu’il désirait faire emplette d’un petit cadeau pour une dame.

La charmante petite femme à laquelle il adressa cette confidence, petite femme bien éveillée et mise avec un goût parfait, quitta un bosquet de velours vert, où elle était en train de mettre en règle certains petits registres qu’on n’avait jamais crus destinés à renfermer d’autres item de commerce qu’un compte de baisers en partie double, sur un ravissant petit pupitre qu’on eût pris pour un bonbon.

« Par exemple, demanda la petite femme, quelle espèce de cadeau désirerait monsieur. Un sentiment ? »

M. Dorrit sourit et répondit : « Eh ! mais. Peut-être bien, pourquoi pas ? Cela se pourrait bien, le sexe était si charmant ? Madame voudrait-elle bien lui en montrer quelques-uns ?

— Très-volontiers. Flattée et enchantée d’en montrer beaucoup à monsieur. Mais pardon. Pour commencer, monsieur aurait l’extrême obligeance de se rappeler qu’il existe une grande différence entre un sentiment et un cadeau de noces. Par exemple, ces boucles