Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/202

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gué du tout… ah !… hem !… Je suis beaucoup mieux portant que je ne l’étais lors de mon départ. »

Le voyant si irritable, la petite Dorrit, au lieu de se justifier, resta debout à côté de lui sans parler, le tenant par le bras. Le vieillard, assis entre sa fille et son frère, fut pris d’une somnolence profonde qui ne dura pas une minute et dont il se réveilla en sursaut :

« Frédéric, dit-il alors en se tournant vers son frère : je te conseille d’aller te coucher tout de suite.

— Non, William, je resterai pour te tenir compagnie pendant ton souper.

— Frédéric, riposta l’aîné, je le prie d’aller te coucher. Tu… ah !… m’obligeras en accédant à ma demande. Il y a longtemps que tu devrais être au lit. Tu es très-faible.

— Allons ! dit le vieillard, qui ne cherchait qu’à plaire au voyageur. Soit, soit, soit ! C’est possible.

— Mon cher Frédéric, continua M. Dorrit d’un ton qui annonçait combien il se croyait fort à côté de son frère, il ne peut exister aucun doute à cet égard. Je regrette de te retrouver aussi faible… Ah !… cela m’afflige profondément… hem !… tu n’as pas l’air bien portant du tout. Il ne faut pas veiller si tard : cela ne vaut rien. Tu devrais prendre plus de soin de ta santé… beaucoup plus de soin.

— Veux-tu que j’aille me coucher ? demanda Frédéric.

— Cher Frédéric, je t’en conjure ! Bonsoir, frère, j’espère que tu seras plus fort demain. Tu as très-mauvaise mine. Bonsoir, mon ami. »

Après avoir congédié son frère de cette gracieuse façon, il se rendormit de nouveau avant que Frédéric eût seulement franchi le seuil de la chambre, et il serait tombé en avant dans la cheminée si sa fille ne l’eût retenu.

« Votre oncle commence à radoter, Amy, dit-il, lorsqu’il eut été ainsi réveillé. Il n’a pas de suite dans les idées… et sa conversation est… hem… plus décousue… ah !… hem !… qu’elle ne l’a jamais été. Il n’a pas été malade pendant mon absence ?

— Non, père.

— Tu… ha !… ne le trouves pas bien changé, Amy ?

— Je n’ai pas remarqué, père.

— Il est très-cassé… très-cassé. Mon pauvre et bon Frédéric s’en va !… hem !… Il était bien cassé avant mon départ… mais aujourd’hui… hem !… il s’en va ! »

Le souper qu’on servit sur la petite table où Amy avait travaillé vint faire diversion. Elle se tint auprès de lui comme aux jours passés, pour la première fois depuis leur départ de Londres. Ils se trouvaient seuls, et ce fut elle qui le servit et lui versa à boire comme elle avait coutume de le faire autrefois dans la prison. Elle évitait autant que possible de le regarder de crainte de l’irriter de nouveau ; mais elle remarqua que, pendant ce repas, il