Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/204

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lors de cette rencontre, ne put qu’approuver faiblement la réflexion de son père.

« Mme Merdle donne un grand bal d’adieu, cher père, et un dîner auparavant. Elle m’a exprimé son vif désir de vous voir revenir à temps. Elle nous a invités tous les deux au dîner.

— Elle est… ha !… bien bonne. Pour quel jour ?

— Pour après-demain.

— Vous enverrez un petit mot dans la matinée pour annoncer que je suis de retour et que je serai… hem !… ravi.

— Voulez-vous que je monte l’escalier avec vous et que je vous reconduise jusqu’à votre chambre, cher père ?

— Non ! répondit-il, regardant autour de lui d’un air irrité, car il s’éloignait sans dire bonsoir à sa fille. Ce n’est pas la peine. Je n’ai pas besoin, moi, qu’on me conduise. Votre père n’est pas comme votre oncle, infirme ! » Il s’interrompit tout à coup, aussi brusquement qu’il avait parlé, et reprit : « Tu ne m’as pas embrassé, Amy. Bonsoir, chérie ! Il faut que nous te trouvions un mari… ha !… il faut que nous te trouvions un mari, à ton tour. »

Sur ce, il monta l’escalier d’un pas lent et fatigué, gagna son appartement, et, dès qu’il y fut arrivé, renvoya son valet. Ensuite il se mit à passer en revue ses emplettes parisiennes, et, après avoir ouvert les étuis et contemplé les bijoux, il les mit sous clef. Puis, grâce à quelques accès de somnolence et à ses châteaux en Espagne, il s’oublia si longtemps que le matin commençait à s’annoncer, à l’horizon oriental de la campagne déserte, lorsqu’il gagna son lit.

Mme Général envoya ses compliments le lendemain à une heure convenable, et fit dire qu’elle espérait que M. Dorrit était remis des fatigues de son voyage. M. Dorrit renvoya ses compliments et fit répondre à Mme Général qu’il avait très-bien dormi et qu’il se sentait frais et dispos. Néanmoins, il ne sortit de son appartement qu’assez tard dans l’après-midi ; et, bien qu’il eût fait une toilette splendide avant de monter en voiture avec Mme Général et la petite Dorrit, sa mine ne répondait pas du tout à la description brillante qu’il avait faite de sa propre santé.

Comme la famille ne reçut pas de visiteur ce jour-là, les quatre membres qui la composaient dînèrent seuls. M. Dorrit donna le bras à Mme Général et la fit asseoir à sa droite avec beaucoup de cérémonie. Amy ne put s’empêcher de remarquer, tandis qu’elle suivait avec son oncle, que son père avait encore fait une toilette resplendissante, et que ses façons envers Mme Général avaient quelque chose de particulier. Cette dame s’était formé un maintien si parfait, qu’il devenait presque impossible de rien reconnaître sous la couche de vernis distingué qu’elle y avait étendue ; mais la petite Dorrit crut entrevoir une légère nuance de triomphe dans un coin de l’œil vitreux de l’aimable veuve.

Malgré ce qu’on pourrait appeler le caractère prunique et prismatique de ce repas de famille, M. Dorrit s’endormit à plusieurs