Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/269

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vaincu l’esprit exclusif de l’aristocratie, qui avait nivelé l’orgueil des grands personnages ; le patron des patrons ; lui qui avait marchandé une pairie avec le ministre des Circonlocutions, qui avait été comblé, en moins de quinze ans, de plus de faveurs que l’Angleterre n’en a accordé en plus de deux siècles à tous les paisibles bienfaiteurs de leur pays, à toutes les illustrations des arts et des sciences qui se présentaient leurs œuvres à la main… lui, la brillante merveille, l’étoile nouvelle qui avait servi de guide aux mages chargés d’offrandes, jusqu’au moment où elle s’était arrêtée pour leur montrer une carcasse au fond d’une baignoire ensanglantée… c’était tout bonnement le plus grand faussaire et le plus grand voleur qui ait jamais échappé à la potence.




CHAPITRE XXVI.

Orage.


Annoncé par sa respiration essoufflée et par un bruit de pas pressés, M. Pancks se précipite dans le petit bureau d’Arthur Clennam. L’enquête est terminée, la lettre est publiée, la faillite de la merveilleuse banque est annoncée, les autres entreprises modèles du grand Merdle sont autant de compagnies de paille qui ont pris feu et dont il ne reste que de la fumée. Le vaisseau pirate que l’on avait tant admiré vient de se faire sauter au milieu d’une vaste flotte de navires de toute dimension. Sur la surface de la mer on n’aperçoit que des débris : des coques de bâtiments incendiés, des saintes-barbes qui font explosion, des canons qui éclatent d’eux-mêmes et déchirent en morceaux amis et voisins, des naufragés qui se noient et s’accrochent à des fétus, et disparaissent au bout de quelques secondes, des nageurs épuisés, des cadavres flottants, entourés de requins.

Que sont devenus l’ordre et l’activité du bureau Doyce et Clennam ? Des lettres non décachetées, des papiers en désordre encombrent la table. Au milieu de ces signes de prostration morale et de découragement, l’associé de Daniel Doyce se tient immobile à sa place habituelle, les bras croisés sur son pupitre et la tête appuyée sur ses bras.

M. Pancks arrive en courant dans la chambre, aperçoit Clennam et s’arrête. L’instant d’après les bras de Pancks sont aussi croisés sur le pupitre et sa tête appuyée aussi sur ses bras. Pendant quelques minutes ils se tiennent dans cette attitude, désœuvrés et silencieux, séparés par la longueur de la petite table.

M. Pancks fut le premier à lever la tête et à parler.