Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/321

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engagés à faire pour M. Clennam. Sa grande inquiétude, qui n’a fait que croître et embellir quand il s’est vu en prison, a toujours été seulement de s’assurer qu’on vous ramènerait chez vous l’aimable gentleman qui avait si bien su s’éclipser. Nous vous l’avons ramené. Le voilà. Et j’ajouterai, continua signor Panco en manière de péroraison, au nez et à la barbe de ce gentleman à mine patibulaire, qu’à mon avis ce monde-ci n’en irait pas plus mal s’il s’était éclipsé tout à fait dans l’autre monde.

— On ne vous demande pas votre avis, continua Mme Clennam. Allez.

— Je regrette de ne pas vous laisser en meilleure compagnie, madame, reprit Pancks, et je regrette encore davantage que M. Clennam ne soit pas ici. D’autant plus que c’est ma faute ; oh ! oui, c’est bien ma faute.

— Vous voulez dire la sienne, reprit la mère d’Arthur.

— Non pas du tout : c’est la mienne, madame ; car c’est moi qui l’ai poussé à faire un placement ruineux (le Remorqueur tenait plus que jamais à ce mot qu’il se gardait bien de remplacer en aucun cas par celui de spéculation). Et pourtant je puis prouver, par des chiffres incontestables, continua M. Pancks avec un visage désespéré, que ce devait être un excellent placement. Je recommence mes calculs tous les jours depuis la faillite, et tous les jours ils me donnent raison. Le moment et le lieu seraient mal choisis pour entrer dans des détails arithmétiques… poursuivit signor Panco en jetant un regard avide au fond de son chapeau (c’est là qu’il gardait ses calculs)… mais il n’y a pas à dire : les chiffres sont là. Aujourd’hui, M. Clennam devrait rouler en équipage, et moi je devrais posséder quelque chose comme trois ou quatre mille livres sterling. »

M. Pancks passa ses doigts dans sa chevelure hérissée, avec autant d’assurance que s’il tenait ses trois ou quatre mille livres dans sa poche. Depuis la catastrophe, les chiffres incontestables dont il parlait occupaient tous ses moments de loisir, et sans doute ils étaient destinés à lui servir de consolation jusqu’à la fin de ses jours.

« Mais en voilà assez là-dessus, dit M. Pancks. Altro, mon garçon, vous avez vu les chiffres et vous savez s’ils sont exacts. »

M. Baptiste, dont les connaissances arithmétiques n’étaient pas assez étendues pour lui fournir les mêmes consolations qu’au signor Panco, fit un signe de tête affirmatif, et montra tout un râtelier de belles dents blanches.

Le sieur Flintwinch, qui regardait en ce moment le petit Italien, lui dit en voyant ses dents :

« Tiens ! C’est donc vous ? Il me semblait bien vous avoir déjà rencontré quelque part, mais je n’étais pas sûr de vous reconnaître avant d’avoir vu vos dents. Eh oui, parbleu !… C’est ce réfugié officieux, continua Jérémie en s’adressant à Mme Clennam, qui est venu ici le soir où Arthur et cette bavarde de Flora ont par-