Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pouvons pas nous tromper en oubliant tout le reste pour ne rien faire qu’en souvenir de lui. On ne trouve pas, que je sache, de vengeances ni de punitions infligées dans l’histoire de sa vie : soyez sûre qu’on ne peut s’égarer en cherchant à marcher sur ses pas. »

Dans le jour adouci de la fenêtre, cessant de contempler le théâtre des épreuves de sa jeunesse pour lever les yeux au ciel encore bleu, la petite Dorrit formait un contraste frappant avec le spectre en deuil à moitié caché dans l’ombre ; mais l’existence et la doctrine sur laquelle s’appuyait la jeune fille offrait un contraste plus frappant encore avec l’histoire de l’associée de Jérémie Flintwinch. Mme  Clennam baissa de nouveau la tête et ne prononça pas une parole. Elle se tint ainsi, jusqu’au moment où le premier appel de la cloche vint prévenir les visiteurs qu’il était temps de se retirer.

« Déjà ! s’écria Mme  Clennam en tressaillant. Je vous ai dit que j’avais une autre grâce à vous demander. Si vous voulez me l’accorder ; il n’y a pas de temps à perdre. L’homme qui vous a fait remettre ce paquet et qui possède les originaux de ces papiers, cet homme attend chez moi le prix de son silence. Ce n’est qu’en l’achetant que je puis l’empêcher de le révéler à Arthur. Mais il demande une forte somme, plus d’argent que je ne puis lui en donner sans avoir un peu de temps devant moi. Il ne veut rien rabattre de ses prétentions, car il menace de s’adresser à vous si je n’accepte pas ses conditions. Voulez-vous m’accompagner pour lui montrer que vous savez déjà tout ? Voulez-vous m’accompagner pour essayer de le faire changer d’avis ? Voulez-vous m’accompagner afin de m’aider à sortir des griffes de ce chat-tigre ? Ne me refusez pas ce que je vous demande au nom d’Arthur, quoique je n’ose pas vous le demander pour l’amour de lui. »

La petite Dorrit ne se fit pas prier. Elle disparut dans l’intérieur de la prison, revint au bout de quelques minutes et dit à son ancienne maîtresse qu’elle était prête à partir. Elles descendirent par le grand escalier afin d’éviter de passer par la loge et traversant la cour d’entrée, tranquille et déserte en ce moment, elles gagnèrent la rue.

Il faisait une de ces belles soirées d’été où la nuit ne semble qu’un long crépuscule. La perspective formée par les rues et le pont de Londres se dessinait nettement et le ciel restait clair et serein. Une foule de gens se tenaient assis ou debout, devant leurs maisons, jouant avec leurs enfants et jouissant du beau temps ; d’autres se promenaient pour respirer l’air frais. Le bruit et le tracas du jour avaient fini par s’assoupir ; Mme  Clennam et sa compagne étaient les seules personnes qui parussent pressées.

Tandis qu’elles traversaient le pont de Londres, les clochers des nombreuses églises se détachant sur le fond pur du ciel, semblaient s’être rapprochés de la terre en se dégageant du sale