Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/73

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Sans paraître se soucier le moins du monde d’éclaircir cette dernière question, M. Gowan commença à siffler d’un air irrité et ne parla plus de M. Dorrit. Mais le lendemain il revint à la charge et dit, de son air dégagé et avec un sourire de dédain.

« Ah çà, Blandois, quand irons-nous voir ce Mécène que vous m’avez déterré ? Nous autres artisans, nous ne devons pas refuser la besogne qu’on veut bien nous commander. Quand est-ce que nous irons prendre les ordres de notre patron ?

— Quand vous voudrez, répondit Blandois d’un ton offensé ; quand il vous plaira. Est-ce que j’ai quelque chose à voir là dedans ? Qu’est-ce que cela me fait ?

— Je n’en sais rien ; mais cela me fait beaucoup, à moi. Cela m’aidera à acheter du pain et du fromage. Il faut vivre ! Allons, en route, mon Blandois ! »

M. Dorrit les reçut en présence de ses filles et de M. Sparkler, qui, par un hasard surprenant, se trouvait là en visite.

« Comment va, Sparkler ? dit Gowan avec insouciance. Lorsque vous n’aurez plus pour vivre que l’esprit de votre mère, mon vieux, je vous souhaite de vous tirer d’affaire mieux que moi. »

M. Dorrit parla alors de sa proposition.

« Monsieur, lui dit Gowan en riant après l’avoir acceptée de fort bonne grâce, je suis trop nouveau dans le métier pour être au courant de tous les mystères de mon art. Je crois que je devrais vous examiner sous différents jours, vous dire que vous avez une tête superbe et avoir l’air de me demander quand je pourrai trouver assez de loisir pour me consacrer avec l’enthousiasme nécessaire au magnifique portrait que je compte faire de vous. Je vous assure (ici Gowan se mit encore à rire) qu’en ce moment je me fais l’effet d’un traître qui aurait pénétré dans le camp de mes chers, spirituels, bons et nobles confrères en peinture. Ce n’est pourtant pas ma faute, si je n’imite pas mieux leur charlatanisme de convention. Mais on ne m’a pas dressé à cela tout petit, et il est trop tard maintenant pour l’apprendre. Or, le fait est que je suis un très-mauvais peintre ; mais pas plus mauvais que la généralité de mes collègues. Si vous tenez absolument à jeter une centaine de guinées[1] par la fenêtre, comme je suis aussi pauvre que peut l’être un parent pauvre de gens haut placés, je vous serai très-obligé de vouloir bien me les jeter à moi de préférence. Je tâcherai de vous en donner pour votre argent ; et si, en fin de compte, je ne réussis qu’à vous faire une croûte, vous en serez quitte pour avoir une croûte, signée d’un nom modeste, au lieu d’avoir une croûte signée d’un nom brillant. »

Ce ton, auquel M. Dorrit ne s’attendait pourtant pas, fut loin de lui déplaire. Cela prouvait que l’artiste (homme de bonne famille et non un simple manœuvre) serait son obligé. Il déclara qu’il s’en

  1. Deux mille six cent vingt-cinq francs.