Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/118

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soir et passai dans la salle commune, au fond du couloir, où il y avait un bon feu, et où Joe fumait sa pipe en compagnie de M. Wopsle et d’un étranger. Joe me reçut comme de coutume, en s’écriant :

« Holà ! mon petit Pip, te voilà mon garçon ! »

Aussitôt l’étranger tourna la tête pour me regarder. C’était un homme que je n’avais jamais vu, et il avait l’air fort mystérieux. Sa tête était penchée d’un côté, et l’un de ses yeux était constamment à demi fermé, comme s’il visait quelque chose avec un fusil invisible. Il avait une pipe à la bouche, il l’ôta ; et après en avoir expulsé la fumée, sans cesser de me regarder fixement, il me fit un signe de tête. Je répondis par un signe semblable. Alors il continua le même jeu et me fit place à côté de lui.

Mais comme j’avais l’habitude de m’asseoir à côté de Joe toutes les fois que je venais dans cet endroit, je dis :

« Non, merci, monsieur. »

Et je me laissai tomber à la place que Joe m’avait faite sur l’autre banc. L’étranger, après avoir jeté un regard sur Joe et vu que son attention était occupée ailleurs, me fit de nouveaux signes ; puis il se frotta la jambe d’une façon vraiment singulière, du moins ça me fit cet effet-là.

« Vous disiez, dit l’étranger en s’adressant à Joe, que vous êtes forgeron.

— Oui, répondit Joe.

— Que voulez-vous boire, monsieur ?… À propos, vous ne m’avez pas dit votre nom. »

Joe le lui dit, et l’étranger l’appela alors par son nom.

« Que voulez-vous boire, monsieur Gargery, c’est moi qui paye pour trinquer avec vous ?