Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/120

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vous pas qu’il peut y venir quelquefois des Bohémiens, des vagabonds, ou quelque voyageur égaré ?

— Non, dit Joe ; seulement par-ci, par-là, un forçat évadé, et ils ne sont pas faciles à prendre, n’est-ce pas, monsieur Wopsle ? »

M. Wopsle, se souvenant de sa déconvenue, fit un signe d’assentiment dépourvu de tout enthousiasme.

« Il paraît que vous en avez poursuivi ? demanda l’étranger.

— Une fois, répondit Joe, non pas que nous tenions beaucoup à les prendre, comme vous pensez bien ; nous y allions comme curieux, n’est-ce pas, mon petit Pip ?

— Oui, Joe. »

L’étranger continuait à me lancer des regards de côté, comme si c’eût été particulièrement moi qu’il visât avec son fusil invisible, et dit :

« C’est un gentil camarade que vous avez là ; comment l’appelez-vous ?

— Pip, dit Joe.

— Son nom de baptême est Pip ?

— Non, pas son nom de baptême.

— Son surnom, alors ?

— Non, dit Joe, c’est une espèce de nom de famille qu’il s’est donné à lui-même, quand il était tout enfant.

— C’est votre fils ?

— Oh ! non, dit Joe en méditant, non qu’il fût nécessaire de réfléchir là-dessus ; mais parce que c’était l’habitude, aux Trois jolis bateliers, de réfléchir profondément sur tout ce qu’on disait, pendant que l’on fumait ; oh !… non. Non, il n’est pas mon fils.

— Votre neveu ? dit l’étranger.

— Pas davantage, dit Joe, avec la même apparence de réflexion profonde. Non… je ne veux pas vous tromper… il n’est pas mon neveu.