Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/123

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mon aise, si j’en avais eu l’envie, car M. Wopsle nous quitta à la porte des Trois jolis bateliers, et Joe marcha tout le temps, la bouche toute grande ouverte, pour se la rincer et faire passer l’odeur du rhum, en absorbant le plus d’air possible. J’étais comme stupéfié par le changement qui s’était opéré chez mon ancienne et coupable connaissance, et je ne pouvais penser à autre chose.

Ma sœur n’était pas de trop mauvaise humeur quand nous entrâmes dans la cuisine, et Joe profita de cette circonstance extraordinaire pour lui parler de mon shilling tout neuf.

« C’est une pièce fausse, j’en mettrais ma main au feu, dit Mrs  Joe d’un air de triomphe ; sans cela, il ne l’aurait pas donnée à cet enfant. Voyons cela. »

Je sortis le shilling du papier, et il se trouva qu’il était parfaitement bon.

« Mais qu’est-ce que cela ? dit Mrs  Joe, en rejetant le shilling et en saisissant le papier, deux banknotes d’une livre chacune ! »

Ce n’était en effet rien moins que deux grasses banknotes d’une livre, qui semblaient avoir vécu dans la plus étroite intimité avec tous les marchands de bestiaux du comté. Joe reprit son chapeau et courut aux Trois jolis bateliers, pour les restituer à leur propriétaire. Pendant son absence, je m’assis sur mon banc ordinaire, et je regardai ma sœur d’une manière significative, car j’étais à peu près certain que l’homme n’y serait plus.

Bientôt Joe revint dire que l’homme était parti, mais que lui Joe avait laissé un mot à l’hôtelier des Trois jolis bateliers, relativement aux banknotes. Alors ma sœur les enveloppa avec soin dans un papier, et les mit dans une théière purement ornementale,