Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/127

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lui ou celle qui aurait admis ce soupçon aurait pu être accusé d’avoir les mêmes défauts.

Tous avaient cet air inquiet et triste, de gens qui attendent le bon plaisir de quelqu’un, et la plus bavarde des dames avait bien de la peine à réprimer un bâillement, tout en parlant. Cette dame, qui avait nom Camille, me rappelait ma sœur, avec cette différence qu’elle était plus âgée, et que son visage, au premier coup d’œil, m’avait paru avoir des traits plus grossiers. Je commençais à penser que c’était une grâce du ciel si elle avait des traits quelconques, tant était haute et pâle la muraille inanimée que présentait sa face.

« Pauvre chère âme ! dit la dame avec une vivacité de manières tout à fait semblable à celle de ma sœur. Il n’a d’autre ennemi que lui-même.

— Il serait bien plus raisonnable d’être l’ennemie de quelqu’un, dit le monsieur ; bien plus naturel !

— Mon cousin John, observa une autre dame, nous devons aimer notre prochain.

— Sarah Pocket, repartit le cousin John, si un homme n’est pas son propre prochain, qui donc l’est ? »

Miss Pocket se mit à rire ; Camille rit aussi, et elle dit en réprimant un bâillement :

« Quelle idée ! »

Mais ils pensèrent, à ce que je crois, que cela était aussi une bien bonne idée. L’autre dame, qui n’avait pas encore parlé, dit avec emphase et gravité :

« C’est vrai !… c’est bien vrai !

— Pauvre âme ! continua bientôt Camille (je savais qu’en même temps tout ce monde-là me regardait). Il est si singulier ! croirait-on que quand la femme de Tom est morte, il ne pouvait pas comprendre l’importance du deuil que doivent porter les enfants ? « Bon Dieu ! » disait-il, « Camille, à quoi sert de mettre en