Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/134

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« Chère miss Havisham, dit miss Sarah Pocket, comme vous avez bonne mine !

— Ça n’est pas vrai ! dit miss Havisham, je suis jaune et n’ai que la peau sur les os. »

Camille rayonna en voyant miss Pocket recevoir cette rebuffade, et elle murmura en contemplant miss Havisham d’une manière tout à fait triste et compatissante :

« Pauvre chère âme ! certainement, elle ne doit pas s’attendre à ce qu’on lui trouve bonne mine… la pauvre créature. Quelle idée !…

— Et vous, comment vous portez-vous, vous ? » demanda miss Havisham à Camille.

Nous étions alors tout près de cette dernière, et j’allais en profiter pour m’arrêter ; mais miss Havisham ne le voulait pas ; nous poursuivîmes donc, et je sentis que je déplaisais considérablement à Camille.

« Merci, miss Havisham, continua-t-elle, je vais aussi bien que je puis l’espérer.

— Comment cela ?… qu’avez-vous ?… demanda miss Havisham, avec une vivacité surprenante.

— Rien qui vaille la peine d’être dit, répliqua Camille ; je ne veux pas faire parade de mes sentiments. Mais j’ai pensé à vous toute la nuit, et cela plus que je ne l’aurais voulu.

— Alors, ne pensez pas à moi.

— C’est plus facile à dire qu’à faire, répondit tendrement Camille, en réprimant un soupir, tandis que sa lèvre supérieure tremblait et que ses larmes coulaient en abondance. Raymond sait de combien de gingembre et de sels j’ai été obligée de faire usage toute la nuit, et combien de mouvements nerveux j’ai éprouvés dans ma jambe. Mais tout cela n’est rien quand je pense à ceux que j’aime… Si je pouvais être moins affectueuse