Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/155

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si changé. Il restait là, immobile, sans pouvoir parler, avec sa touffe de cheveux en l’air et la bouche toute grande ouverte, comme un oiseau extraordinaire attendant une mouche au passage.

« Vous êtes le mari de la sœur de cet enfant-là ? répéta miss Havisham.

— C’est-à-dire, mon petit Pip, me dit Joe d’un ton excessivement poli et confiant, que lorsque j’ai courtisé et épousé ta sœur, j’étais, comme on dit, si tu veux bien me permettre de le dire, un garçon… »

La situation devenait fort embarrassante, car Joe persistait à s’adresser à moi, au lieu de répondre à miss Havisham.

« Bien, dit miss Havisham, vous avez élevé ce garçon avec l’intention d’en faire votre apprenti, n’est-ce pas, monsieur Gargery ?

— Tu sais, mon petit Pip, répliqua Joe, que nous avons toujours été bons amis, et que nous avons projeté de partager peines et plaisir ensemble, à moins que tu n’aies quelque objection contre la profession ; que tu ne craignes le noir et la suie, par exemple, ou à moins que d’autres ne t’en aient dégoûté, vois-tu, mon petit Pip…

— Cet enfant-là a-t-il jamais fait la moindre objection ?… A-t-il du goût pour cet état ?

— Tu dois le savoir, mon petit Pip, mieux que personne, repartit Joe ; c’était jusqu’à présent le plus grand désir de ton cœur. »

Et il répéta avec plus de force, de raisonnement, de confiance et de politesse que la première fois :

« N’est-ce pas, mon petit Pip, que tu ne fais aucune objection, et que c’est bien le plus grand désir de ton cœur ? »

C’est en vain que je m’efforçais de lui faire com-