Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/202

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— Non, dit Biddy, en jetant de nouveau un regard en arrière ; il ne me l’a jamais dit ; mais il se met à danser devant moi toutes les fois qu’il s’aperçoit que je le regarde. »

Quelque nouveau et singulier que me parût ce témoignage d’attachement, je ne doutais pas un seul instant de l’exactitude de l’interprétation de Biddy. Je m’échauffais à l’idée que le vieil Orlick osât l’admirer, comme je me serais échauffé s’il m’eût outragé moi-même.

« Mais cela n’a rien qui puisse t’intéresser, ajouta Biddy avec calme.

— Non, Biddy, c’est vrai ; seulement je n’aime pas cela, et je ne l’approuve pas.

— Ni moi non plus, dit Biddy, bien que cela doive t’être bien égal.

— Absolument, lui dis-je ; mais je dois avouer que j’aurais une bien faible opinion de toi, Biddy, s’il dansait devant toi, de ton propre consentement. »

J’eus l’œil sur Orlick par la suite, et toutes les fois qu’une circonstance favorable se présentait pour qu’il manifestât à Biddy l’émotion qu’elle lui causait, je me mettais entre lui et elle, pour atténuer cette démonstration. Orlick avait pris pied dans la maison de Joe, surtout depuis l’affection que ma sœur avait prise pour lui ; sans cela, j’aurais essayé de le faire renvoyer. Orlick comprenait parfaitement mes bonnes intentions à son égard, et il y avait de sa part réciprocité, ainsi que j’eus l’occasion de l’apprendre par la suite. Or, comme si mon esprit n’eût pas été déjà assez troublé, j’en augmentai encore la confusion en pensant, à certains jours et à certains moments, que Biddy valait énormément mieux qu’Estelle, et que la vie de travail simple et honnête dans laquelle j’étais né n’avait rien dont on dût rougir, mais qu’elle offrait au contraire