Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/230

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M. Trabb avait coupé en trois tranches son petit pain chaud et avait fait trois lits sur lesquels il avait étendu du beurre frais, puis il les avait superposés les uns sur les autres. C’était un bienheureux vieux garçon. Sa fenêtre donnait sur un bienheureux petit verger, et il y avait un bienheureux coffre scellé dans le mur, à côté de la cheminée, et je ne doutais pas qu’une grande partie de sa fortune n’y fût enfermée dans des sacs.

« M. Trabb, dis-je, c’est une chose désagréable à annoncer, parce que cela peut paraître de la forfanterie, mais il m’est survenu une fortune magnifique. »

Un changement s’opéra dans toute la personne de M. Trabb. Il oublia ses tartines de beurre, quitta la table et essuya ses doigts sur la nappe en s’écriant :

« Que Dieu ait pitié de mon âme ! »

— Je vais chez mon tuteur, à Londres, dis-je en tirant de ma poche et comme par hasard quelques guinées sur lesquelles je jetai complaisamment les yeux, et je désirerais me procurer un habillement fashionable. Je vais vous payer, ajoutai-je, craignant qu’il ne voulût me faire mes vêtements neufs que contre argent comptant.

— Mon cher monsieur, dit M. Trabb en s’inclinant respectueusement et en prenant la liberté de s’emparer de mes bras et de me faire toucher les deux coudes l’un contre l’autre, ne me faites pas l’injure de me parler de la sorte. Me risquerai-je à vous féliciter ? Me ferez-vous l’honneur de passer dans ma boutique ? »

Le garçon de M. Trabb était bien le garçon le plus effronté de tout le pays. Quand j’étais entré, il était en train de balayer la boutique ; il avait égayé ses labeurs en balayant sur moi ; il balayait encore quand j’y revins, accompagné de M. Trabb, et il cognait le manche du balai contre tous les coins et tous les obstacles pos-