Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/235

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Je lui dis que je permettais tout ce qu’il voulait. Il me donna une seconde poignée de main, vida son verre et le retourna sens dessus dessous. Je fis comme lui, et si je m’étais retourné moi-même, au lieu de retourner mon verre, le vin ne se serait pas porté plus directement à mon cerveau.

M. Pumblechook me servit l’aile gauche du poulet et la meilleure tranche de la langue ; il ne s’agissait plus ici des débris innommés du porc, et je puis dire que, comparativement, il ne prit aucun soin de lui-même.

« Ah ! pauvre volaille ! pauvre volaille ! tu ne pensais guère, dit M. Pumblechook en apostrophant le poulet sur son plat, quand tu n’étais encore qu’un jeune poussin, tu ne pensais guère à l’honneur qui t’était réservé ; tu n’espérais pas être un jour servie sur cette table et sous cet humble toit à celui qui… Appelez cela de la faiblesse si vous voulez, dit M. Pumblechook en se levant, mais permettez… permettez !… »

Je commençais à trouver qu’il était inutile de répéter sans cesse la formule qui l’autorisait. Il le comprit, et agit en conséquence. Mais comment put-il me serrer si souvent les mains sans se blesser avec mon couteau ? Je n’en sais vraiment rien.

« Et votre sœur, continua-t-il, après qu’il eût mangé quelques bouchées sans se déranger ; votre sœur qui a eu l’honneur de vous élever à la main, il est bien triste de penser qu’elle n’est plus capable de comprendre ni d’apprécier tout l’honneur… permettez !… »

Voyant qu’il allait encore s’élancer sur moi, je l’arrêtai.

« Nous allons boire à sa santé ! dis-je.

— Ah ! s’écria M. Pumblechook en se laissant retomber sur sa chaise, complètement foudroyé d’admi-