Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/273

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mettre son couteau dans sa bouche, par crainte d’accident, et que, bien que la fourchette soit réservée pour cet usage, il ne faut pas la faire entrer plus loin qu’il est nécessaire. C’est à peine digne d’être remarqué, mais il vaut mieux faire comme tout le monde. J’ajouterai qu’on ne tient pas sa cuiller sur sa main, mais dessous. Cela a un double avantage, vous arriverez plus facilement à la bouche, ce qui, après tout, est l’objet principal, et vous épargnez, dans une infinité de cas, à votre épaule droite, l’attitude qu’on prend en ouvrant des huîtres. »

Il me fit ces observations amicales d’une manière si enjouée, que nous en rîmes tous les deux, et qu’à peine cela me fit-il rougir.

« Maintenant, continua-t-il, parlons de miss Havisham. Miss Havisham, vous devez le savoir, a été une enfant gâtée. Sa mère mourut qu’elle n’était encore qu’une enfant, et son père ne sut rien lui refuser. Son père était gentleman campagnard, et, de plus, il était brasseur. Je ne sais pourquoi il est très-bien vu d’être brasseur dans cette partie du globe, mais il est incontestable que, tandis que vous ne pouvez convenablement être gentleman et faire du pain, vous pouvez être aussi gentleman que n’importe qui et faire de la bière, vous voyez cela tous les jours.

— Cependant un gentleman ne peut tenir un café, n’est-ce pas ? dis-je.

— Non, sous aucun prétexte, répondit Herbert ; mais un café peut retenir un gentleman. Eh bien ! donc, M. Havisham était très-riche et très-fier, et sa fille était de même.

— Miss Havisham était fille unique ? hasardai-je.

— Attendez un peu, j’y arrive. Non, elle n’était pas fille unique. Elle avait un frère consanguin. Son père