Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/294

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Flopson, à force de secouer le Baby et de faire mouvoir ses articulations, comme celles d’une poupée d’Allemagne, parvint à le déposer, sain et sauf, dans le giron de Mrs  Pocket, et lui donna le casse-noisette pour s’amuser, recommandant en même temps à Mrs  Pocket de bien faire attention que les branches de cet instrument n’étaient pas de nature à vivre en parfait accord avec les yeux de l’enfant, et chargea sévèrement miss Jane d’y veiller. Les deux bonnes quittèrent ensuite l’appartement et se disputèrent vivement sur l’escalier, avec un groom débauché, qui avait servi à table, et qui avait perdu au jeu la moitié des boutons de sa veste.

Je me sentis l’esprit très-mal à l’aise quand je vis Mrs  Pocket, tout en mangeant des quartiers d’oranges trempés dans du vin sucré, entamer une discussion avec Drummle à propos de deux baronnies, oubliant tout à fait le Baby qui, sur ses genoux, exécutait des choses vraiment effroyables avec le casse-noisette. À la fin, la petite Jane, voyant le jeune cerveau de son petit frère en danger, quitta doucement sa place, et, employant une foule de petits artifices, elle parvint à éloigner l’arme dangereuse. Mrs  Pocket finissait au même instant son orange, et n’approuvant pas cela, elle dit à Jane :

« Oh ! vilaine enfant ! comment oses-tu ?… Va t’asseoir de suite…

— Chère maman, balbutia la petite fille, le Baby pouvait se crever les yeux.

— Comment oses-tu me répondre ainsi ? reprit Mrs  Pocket ; va te remettre sur ta chaise, à l’instant. »

La dignité de Mrs  Pocket était si écrasante, que je me sentais tout embarrassé, comme si j’avais fait moi-même quelque chose pour la mettre en colère.

« Belinda, reprit M. Pocket, de l’autre bout de la