Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/324

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fort beau plat de poisson que la gouvernante avait mis sur la table. Nous eûmes ensuite un gigot de mouton des meilleurs ; et puis après une volaille également bien choisie. Les sauces, les vins et tous les accessoires étaient d’excellente qualité et nous furent servies de la main même de notre hôte, qui les prenait sur son dressoir ; quand ils avaient fait le tour de la table, il les replaçait sur le même dressoir. De même il nous passait des assiettes propres, des couteaux et des fourchettes propres pour chaque plat, et déposait ensuite ceux que nous lui rendions dans deux paniers placés à terre près de sa chaise. Aucun autre domestique que la femme de ménage ne parut. Elle apportait tous les plats, et je continuais à trouver sa figure toute semblable à celles que j’avais vues sortir du chaudron. Des années après, je fis apparaître la terrible image de cette femme en faisant passer un visage qui n’avait d’autre ressemblance naturelle avec le sien que celle qui provenait de cheveux flottants derrière un bol d’esprit de vin enflammé dans une chambre obscure.

Poussé à observer tout particulièrement la gouvernante, tant pour son extérieur extraordinaire que pour ce que m’en avait dit Wemmick, je remarquai que toutes les fois qu’elle se trouvait dans la salle, elle tenait les yeux attentivement fixés sur mon tuteur, et qu’elle retirait promptement ses mains des plats qu’elle mettait avec hésitation devant lui, comme si elle eût craint qu’il ne la rappelât et n’essayât de lui parler pendant qu’elle était proche, s’il avait eu quelque chose à lui dire. Je crus apercevoir dans ses manières le sentiment intime de ceci, et d’un autre côté l’intention de toujours le tenir caché.

Le dîner se passa gaiement ; et, bien que mon tuteur semblât suivre plutôt que conduire la conversation, je