Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/326

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« Si vous parlez de force, dit M. Jaggers, je vais vous faire voir un poignet. Molly, faites voir votre poignet. »

La main de Molly, prise au piège, était sur la table ; mais elle avait déjà mis son autre main derrière son dos.

« Maître, dit-elle à voix basse, les yeux fixés sur lui, attentifs et suppliants, je vous en prie !…

— Je vais vous faire voir un poignet, répéta M. Jaggers avec une immuable détermination de le montrer. Molly, faites-leur voir votre poignet.

— Maître, fit-elle de nouveau, je vous en prie !…

— Molly, dit M. Jaggers sans la regarder, mais regardant au contraire obstinément de l’autre côté de la salle, faites-leur voir vos deux poignets, faites-les voir, allons ! »

Il lui prit la main, et tourna et retourna son poignet sur la table. Elle avança son autre main et tint ses deux poignets l’un à côté de l’autre.

Ce dernier poignet était complètement défiguré et couvert de cicatrices profondes dans tous les sens. En tenant ses mains étendues en avant, elle quitta des yeux M. Jaggers, et les tourna d’un air d’interrogation sur chacun de nous successivement.

« Voilà de la force, dit M. Jaggers en traçant tranquillement avec son index les nerfs du poignet ; très-peu d’hommes ont la force de poignet qu’a cette femme. Ces mains ont une force d’étreinte vraiment remarquable. J’ai eu occasion de voir bien des mains, mais je n’en ai jamais vu de plus fortes sous ce rapport, soit d’hommes, soit de femmes, que celles-ci. »

Pendant qu’il disait ces mots d’une façon légèrement moqueuse, elle continuait à regarder chacun d’entre nous, l’un après l’autre, en suivant l’ordre dans lequel nous