Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/339

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échapper ; et je fus très-content, au fond du cœur, quand Herbert nous quitta pour se rendre dans la Cité.

Je n’avais ni assez de sens ni assez de sentiment pour reconnaître que tout cela était de ma faute, et que si j’avais été plus sans cérémonie avec Joe, Joe aurait été plus à l’aise avec moi. Je me sentais gêné et à bout de patience avec lui ; il avait ainsi amoncelé des charbons ardents sur ma tête.

« Puisque nous sommes seuls maintenant, monsieur… commença Joe.

— Joe, interrompis-je d’un ton chagrin, comment pouvez-vous m’appeler monsieur ? »

Joe me regarda un instant avec quelque chose d’indécis dans le regard qui ressemblait à un reproche. En voyant sa cravate de travers, ainsi que son col, j’eus conscience qu’il avait une sorte de dignité qui sommeillait en lui.

« Nous sommes seuls, maintenant, reprit Joe, et comme je n’ai ni l’intention ni le loisir de rester ici bien longtemps, je vais conclure dès à présent, en commençant par vous apprendre ce qui m’a procuré l’honneur que vous me faites en ce moment. Car si ce n’était pas, dit Joe avec son ancien air de bonne franchise, que mon seul désir est de vous être utile, je n’aurais pas eu l’honneur de rompre le pain en compagnie de gentlemen tels que vous deux, et dans leur propre demeure. »

Je désirais si peu revoir le regard qu’il m’avait déjà jeté, que je ne lui fis aucun reproche sur le ton qu’il prenait.

« Eh bien ! monsieur, continua Joe, voilà ce qui s’est passé ; je me trouvais aux Trois jolis bateliers, l’autre soir, Pip… »

Toutes les fois qu’il revenait à son ancienne affec-