Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/347

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« Ne prenez pas la chose si mal, monsieur, dit le gardien au voyageur en colère, je me mettrai moi-même auprès de vous, et je les placerai tout au bout de la banquette. Ils ne vous adresseront pas la parole, monsieur, vous ne vous apercevrez pas qu’ils sont là.

— Et il ne faut pas m’en vouloir, grommela le forçat que j’avais reconnu ; je ne tiens pas à partir, je suis tout disposé à rester, en ce qui me concerne ; la première personne venue peut prendre ma place.

— Ou la mienne, dit l’autre d’un ton rude, je ne vous aurais gêné ni les uns ni les autres si l’on m’eût laissé faire. »

Puis ils se mirent tous deux à rire, à casser des noix, en crachant les coquilles tout autour d’eux, comme je crois réellement que je l’aurais fait moi-même à leur place si j’avais été aussi méprisé.

À la fin, on décida qu’on ne pouvait rien faire pour le monsieur en colère, et qu’il devait ou rester, ou se contenter de la compagnie que le hasard lui avait donnée ; de sorte qu’il prit sa place sans cesser cependant de grogner et de se plaindre, puis le gardien se mit à côté de lui. Les forçats s’installèrent du mieux qu’ils purent, et celui des deux que j’avais reconnu s’assit si près derrière moi que je sentais son souffle dans mes cheveux.

« Adieu, Haendel ! » cria Herbert quand nous nous mîmes en mouvement.

Et je songeai combien il était heureux qu’il m’eût trouvé un autre nom que celui de Pip.

Il est impossible d’exprimer avec quelle douleur je sentais la respiration du forçat me parcourir, non-seulement derrière la tête, mais encore toute l’épine dorsale ; c’était comme si l’on m’eût touché la moelle au moyen de quelque acide mordant et péné-