Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

terrompît. Je veux dire qu’il ne serait pas ici, jouissant de la vue de ses supérieurs et de ses aînés, profitant de leur conversation et se roulant au sein des voluptés. Aurait-il fait tout cela ?… Non, certes ! Et quelle eût été ta destinée, ajouta-t-il en me regardant de nouveau ; on t’aurait vendu moyennant une certaine somme selon le cours du marché, et Dunstable, le boucher, serait venu te chercher sur la paille de ton étable ; il t’aurait enlevé sous son bras gauche, et, de son bras droit il t’aurait arraché à la vie à l’aide d’un grand couteau. Tu n’aurais pas été « élevé à la main » … Non, rien de la sorte ne te fût arrivé ! »

Joe m’offrit encore de la sauce, que j’avais honte d’accepter.

« Cela a dû être un bien grand tracas pour vous, madame, dit Mrs  Hubble, en plaignant ma sœur.

— Un enfer, madame, un véritable enfer, répéta ma sœur. Ah ! si vous saviez !… »

Elle commença alors à passer en revue toutes les maladies que j’avais eues, tous les méfaits que j’avais commis, toutes les insomnies dont j’avais été cause, toutes les mauvaises actions dont je m’étais rendu coupable, tous les endroits élevés desquels j’étais tombé, tous les trous au fond desquels je m’étais enfoncé, et tous les coups que je m’étais donné. Elle termina en disant que toutes les fois qu’elle aurait désiré me voir dans la tombe, j’avais constamment refusé d’y aller.

Je pensais alors, en regardant M. Wopsle, que les Romains avaient dû pousser à bout les autres peuples avec leurs nez, et que c’est peut-être pour cette raison qu’ils sont restés le peuple remuant que nous connaissons. Quoi qu’il en soit, le nez de M. Wopsle m’impatientait si fort que pendant le récit de mes fautes, j’aurais aimé le tirer jusqu’à faire crier son propriétaire.