Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/55

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un verre d’eau-de-vie. Mais M. Pumblechook dit avec intention :

« Donnez-lui du vin, ma nièce, je réponds qu’il n’y a pas de goudron dedans. »

Le sergent le remercia en disant qu’il ne tenait pas essentiellement au goudron, et qu’il prendrait volontiers un verre de vin, si rien ne s’y opposait. Quand on le lui eût versé, il but à la santé de Sa Majesté, avec les compliments d’usage pour la solennité du jour, et vida son verre d’un seul trait.

« Pas mauvais, n’est-ce pas, sergent ? dit M. Pumblechook.

— Je vais vous dire quelque chose, répondit le sergent, je soupçonne que ce vin-là sort de votre cave. »

M. Pumblechook se mit à rire d’une certaine manière, en disant :

« Ah !… ah !… et pourquoi cela ?

— Parce que, reprit le sergent en lui frappant sur l’épaule, vous êtes un gaillard qui vous y connaissez.

— Croyez-vous ? dit M. Pumblechook en riant toujours. Voulez-vous un second verre ?

— Avec vous, répondit le sergent, nous trinquerons. Quelle jolie musique que le choc des verres ! À votre santé… Puissiez-vous vivre mille ans, et ne jamais en boire de plus mauvais ! »

Le sergent vida son second verre et paraissait tout prêt à en vider un troisième. Je remarquai que, dans son hospitalité généreuse, M. Pumblechook semblait oublier qu’il avait déjà fait présent du vin à ma sœur ; il prit la bouteille des mains de Mrs  Joe, et en fit les honneurs avec beaucoup d’effusion et de gaieté. Moi-même j’en bus un peu. Il alla jusqu’à demander une seconde bouteille, qu’il offrit avec la même libéralité, quand on eut vidé la première.