Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/56

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En les voyant aller et venir dans la forge, gais et contents, je pensai à la terrible trempée qui attendait, pour son dîner, mon ami réfugié dans les marais. Avant le repas, ils étaient beaucoup plus tranquilles et ne s’amusaient pas le quart autant qu’ils le firent après ; mais le festin les avait animés et leur avait donné cette excitation qu’il produit presque toujours. Et maintenant qu’ils avaient la perspective charmante de s’emparer des deux misérables ; que le soufflet semblait ronfler pour ceux-ci, le feu briller à leur intention et la fumée s’élancer en toute hâte, comme si elle se mettait à leur poursuite ; que je voyais Joe donner des coups de marteau et faire résonner la forge pour eux, et les ombres fantastiques sur la muraille, qui semblaient les atteindre et les menacer, pendant que la flamme s’élevait et s’abaissait ; que les étincelles rouges et brillantes jaillissaient, puis se mouraient, le pâle déclin du jour semblait presqu’à ma jeune imagination compâtissante s’affaiblir à leur intention… les pauvres malheureux…

Enfin, la besogne de Joe était terminée. Les coups de marteau et la forge s’étaient arrêtés. En remettant son habit, Joe eut le courage de proposer à quelques uns de nous d’aller avec les soldats pour voir comment les choses se passeraient. M. Pumblechook et M. Hubble s’excusèrent en donnant pour raison la pipe et la société des dames ; mais M. Wopsle dit qu’il irait si Joe y allait. Joe répondit qu’il ne demandait pas mieux, et qu’il m’emmènerait avec la permission de Mrs  Joe. C’est à la curiosité de Mrs  Joe que nous dûmes la permission qu’elle nous accorda ; elle n’était pas fâchée de savoir comment tout cela finirait, et elle se contenta de dire :

« Si vous me ramenez ce garçon la tête brisée et