Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/65

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regardait les bras croisés ; mais ça ne servira à rien de le dire ici. L’occasion ne vous manquera pas d’en parler là-bas avant de… vous savez bien ce que je veux dire…

— Je sais, mais c’est une question toute différente et une tout autre affaire ; un homme ne peut pas mourir de faim, ou du moins, moi, je ne le pouvais pas. J’ai pris quelques vivres là-bas, dans le village, près de l’église.

— Vous voulez dire que vous les avez volés, dit le sergent.

— Oui, et je vais vous dire où. C’est chez le forgeron.

— Holà ! dit le sergent en regardant Joe.

— Holà ! mon petit Pip, dit Joe en me regardant.

— C’étaient des restes, voilà ce que c’était, et une goutte de liqueur et un pâté.

— Dites-donc, forgeron, avez-vous remarqué qu’il vous manquât quelque chose, comme un pâté ? demanda le sergent.

— Ma femme s’en est aperçue au moment même où vous êtes entré, n’est-ce pas, mon petit Pip ?

— Ainsi donc, dit mon forçat en tournant sur Joe des yeux timides sans les arrêter sur moi, ainsi donc, c’est vous qui êtes le forgeron ? Alors je suis fâché de vous dire que j’ai mangé votre pâté.

— Dieu sait si vous avez bien fait, en tant que cela me concerne, répondit Joe en pensant à Mrs  Joe. Nous ne savons pas ce que vous avez fait, mais nous ne voudrions pas vous voir mourir de faim pour cela, pauvre infortuné !… N’est-ce pas, mon petit Pip ? »

Le bruit que j’avais déjà entendu dans la gorge de mon forçat se fit entendre de nouveau, et il se détourna. Le bateau revint le prendre et la garde qui était prête ; nous le suivîmes jusqu’à l’embarcadère, formé