Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/79

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je lui dis : « Amenez le pauvre petit avec vous… Que Dieu bénisse le pauvre cher petit, il y a place pour lui à la forge ! »

J’éclatai en sanglots et saisis Joe par le cou, en lui demandant pardon. Il laissa tomber le poker pour m’embrasser, et me dit :

« Nous serons toujours les meilleurs amis du monde, mon petit Pip, n’est-ce pas ?… Ne pleure pas, mon petit Pip… »

Après cette petite interruption, Joe reprit :

« Eh bien ! tu vois, mon petit Pip, où nous en sommes ; maintenant, en te tenant dans mes bras et sur mon cœur, je dois te prévenir que je suis affreusement triste, oui, tout ce qu’il y a de plus triste ; mais il ne faut pas que Mrs  Joe s’en doute. Il faut que cela reste un secret, si je puis m’exprimer ainsi. Et pourquoi un secret ? Le pourquoi, je vais te le dire, mon petit Pip. »

Il avait repris le poker, sans lequel il semblait ne pouvoir mener à bonne fin sa démonstration.

« Ta sœur s’est adonnée au gouvernement.

— Adonnée au gouvernement, Joe ? repris-je étonné ; car il m’était venu la drôle d’idée (je craignais et j’allais même jusqu’à espérer) que Joe s’était séparé de sa femme en faveur des Lords de l’Amirauté ou des Lords de la Trésorerie.

— Adonnée au gouvernement, répéta Joe ; je veux dire par là qu’elle nous gouverne, toi et moi.

— Oh !

— Et elle ne tient pas à avoir chez elle des gens instruits, continua Joe, et moi moins qu’un autre, dans la crainte que je ne secoue le joug comme un rebelle, vois-tu. »

J’allais demander pourquoi il ne le faisait pas, quand Joe m’arrêta.