Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/81

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ber sur moi, mais tu vois que je n’y puis absolument rien. »

Malgré mon jeune âge, je crois que de ce moment j’eus une nouvelle admiration pour Joe. Dès lors nous fûmes égaux comme nous l’avions été auparavant ; mais, à partir de ce jour, je crois que je considérai Joe avec un nouveau sentiment, et que ce sentiment partait du fond de mon cœur.

« Quoi qu’il en soit, dit Joe, en se levant pour alimenter le feu, huit heures vont sonner au coucou hollandais, et elle n’est pas encore rentrée… J’espère bien que la jument de l’oncle Pumblechook ne l’a pas jetée à terre. »

Mrs  Joe allait de temps à autre faire quelques petites tournées avec l’oncle Pumblechook. C’était surtout les jours de marché. Elle l’aidait en ces circonstances à acheter les objets de consommation ou de ménage, dont l’acquisition réclame les conseils d’une femme, car l’oncle Pumblechook était célibataire et n’avait aucune confiance dans sa domestique. Ce jour-là étant jour de marché, cela expliquait donc l’absence de Mrs  Joe.

Joe arrangeait le feu, balayait devant la cheminée, puis nous allions à la porte pour écouter si l’on n’entendait pas venir la voiture de l’oncle Pumblechook. La nuit était froide et sèche, le vent pénétrant, il gelait ferme, un homme serait mort en passant cette nuit-là dans les marais. Je levais les yeux vers les étoiles, et je me figurais combien il devait être terrible pour un homme de les regarder en se sentant mourir de froid, sans trouver de secours ou de pitié dans cette multitude étincelante.

« Voilà la jument ! dit Joe ; elle sonne comme un carillon ! »