Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/11

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faibles et tremblants, et les mains levées comme pour demander miséricorde. Ses prétendues souffrances furent une grande jubilation pour les spectateurs ; quant à moi, j’étais littéralement confondu.

Je n’avais pas dépassé de beaucoup la poste aux lettres, quand de nouveau j’aperçus le garçon de Trabb, débusquant par un chemin détourné. Cette fois, il était entièrement changé ; il portait le sac bleu de la manière dégagée dont je portais mon pardessus et se carrait en face de moi, de l’autre côté de la rue, suivi d’une foule joyeuse de jeunes amis, auxquels il criait de temps en temps, en agitant la main et en prenant un air superbe :

« Je ne vous connais pas ! je ne vous connais pas ! »

Les mots ne pourraient donner une idée de l’outrage et du ridicule lancés sur moi par le garçon de Trabb, quand, passant à côté de moi, il tirait son col de chemise, frisait ses cheveux, appuyait son poing sur la hanche, tout en se carrant d’une manière extravagante, en balançant ses coudes et son corps, et en criant à ceux qui le suivaient :

« Connais pas !… connais pas !… Sur mon âme, je ne vous connais pas !… »

Son ignominieux cortège se mit immédiatement à pousser des cris et à me poursuivre sur le pont. Ces cris ressemblaient à ceux d’une basse-cour extrêmement effrayée, dont les volatiles m’auraient connu quand j’étais forgeron ; ils mirent le comble à ma honte lorsque je quittai la ville, et me poursuivirent jusqu’en plein champ.

Mais, à moins d’avoir, en cette occasion, ôté la vie au garçon de Trabb, je ne sais réellement pas aujourd’hui ce que j’aurais pu faire, sinon de me résigner à