Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/166

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preuves manquaient ; à la fin, Compeyson et moi, nous fûmes tous deux mis en jugement sous l’inculpation d’avoir mis en circulation des billets volés, et il y avait encore d’autres charges derrière.

« — Défendons-nous chacun de notre côté, et n’ayons aucune communication, » me dit Compeyson.

« Et ce fut tout.

« J’étais si pauvre, que je vendis tout ce que je possédais, excepté ce que j’avais sur le dos, afin d’avoir Jaggers pour moi.

« Quand on nous amena au banc des accusés, je remarquai tout d’abord combien Compeyson avait bonne tournure et l’air d’un gentleman, avec ses cheveux frisés et ses habits noirs et son mouchoir blanc, et combien, moi, j’avais l’air d’un misérable tout à fait vulgaire.

« Quand on lut l’acte d’accusation, et qu’on chercha à prouver notre culpabilité, je remarquai combien on pesait lourdement sur moi et légèrement sur lui.

« Quand les témoins furent appelés, je remarquai comment on pouvait jurer que c’était toujours moi qui m’étais présenté — comment c’était toujours à moi que l’argent avait été payé — comment c’était toujours moi qui semblais avoir fait la chose et profité du gain.

« Mais quand ce fut le tour de la défense, je vis plus distinctement encore quel était le plan de Compeyson ; car son avocat avait dit :

« — Milord et Messieurs, vous avez devant vous, côte à côte sur le même banc, deux individus que vous ne devez pas confondre : l’un, le plus jeune, bien élevé, dont on parlera comme il convient ; l’autre, mal élevé, auquel on parlera comme il convient. L’un, le plus jeune, qu’on voit rarement apparaître dans les affaires