Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/176

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Alors Drummle me regarda. Il y avait sur son grand visage en hure de brochet un air de triomphe insolent qui me fendit le cœur. Triste comme je l’étais, cela m’exaspéra au point que je me sentis porté à le prendre dans mes bras et à l’asseoir sur le feu.

Une chose était évidente pour tous les deux : c’est que, jusqu’à ce qu’on vînt à notre secours, ni l’un ni l’autre ne pouvait quitter le feu. Nous étions donc devant le feu, épaule contre épaule, pied contre-pied, avec nos mains derrière le dos, sans bouger d’un pouce. Malgré le brouillard, le cheval se voyait en dehors de la porte. Mon déjeuner était sur la table ; celui de Drummle était enlevé ; le garçon m’invita à commencer ; je fis un signe de tête, et tous deux nous restâmes à nos places.

« Êtes-vous allé au Bocage depuis la dernière fois ? dit Drummle.

— Non, dis-je, j’ai eu bien assez des Pinsons la dernière fois que j’y suis allé.

— Est-ce le jour où nous avons différé d’opinion ?

— Oui, répondis-je très-sèchement.

— Allons ! allons ! on vous a laissé assez tranquille, dit Drummle d’un ton moqueur ; vous n’auriez pas dû vous laisser emporter.

— M. Drummle, dis-je, vous n’êtes pas compétent pour donner un avis sur ce sujet. Quand je me laisse emporter (non pas que j’admette l’avoir fait à cette occasion), je ne lance pas de verres à la tête des gens.

— Moi, j’en lance, » dit Drummle.

Après l’avoir regardé deux ou trois fois, en examinant son état d’excitation et de fureur croissantes, je dis :

« Monsieur Drummle, je n’ai pas cherché cette conversation, et je ne la trouve pas agréable.