Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/186

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— Vous ne l’épouserez jamais Estelle ? »

Elle se tourna vers miss Havisham et réfléchit un instant en tenant son ouvrage dans ses mains, puis elle dit :

« Pourquoi ne vous dirais-je pas la vérité ? On va me marier avec lui. »

Je laissai tomber ma tête dans mes mains ; mais je pus me contenir mieux que je ne pouvais l’espérer, en égard à la douleur que j’éprouvai en lui entendant prononcer ces paroles. Quand je relevai la tête, miss Havisham avait un air si horrible, que j’en fus impressionné, même dans le bouleversement extrême de ma douleur.

« Estelle, chère, très-chère Estelle, ne permettez pas à miss Havisham de vous précipiter dans cet abîme. Mettez-moi de côté pour toujours. Vous l’avez fait, je le sais bien, mais donnez votre main à quelque personne plus digne que Drummle. Miss Havisham vous donne à lui comme pour témoigner le plus profond mépris, et faire la plus grande injure qu’on puisse faire à tous les hommes beaucoup meilleurs qui vous admirent, et aux quelques-uns qui vous aiment vraiment. Parmi ces quelques-uns il peut y en avoir un qui vous aime aussi tendrement, bien qu’il ne vous ait pas aimé aussi longtemps que moi. Prenez-le et je le supporterai avec courage pour l’amour de vous ! »

Mon ardeur éveilla en elle un étonnement qui me fit supposer qu’elle était touchée de compassion, et que tout à coup j’étais devenu intelligible à son esprit.

« Je vais, dit-elle encore d’un ton plus doux, l’épouser. On s’occupe des préparatifs de mon mariage, et je serai bientôt mariée. Pourquoi mêlez-vous ici injustement le nom de ma mère adoptive ? C’est par ma propre volonté que tout se fait.