Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/191

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verts. Quand je fus dans mon lit, étendu, les pieds endoloris, fatigué et misérable, je m’aperçus que je ne pouvais pas plus fermer mes yeux que je n’aurais pu fermer ceux de cet Argus indiscret. Ainsi, dans l’ombre et le silence de la nuit, nous nous regardions fixement.

Quelle nuit affreuse, agitée, horrible et longue !… Il y avait dans la chambre une odeur inhospitalière de suie froide et de poussière chaude, et en regardant dans les recoins du ciel de lit au-dessus de ma tête, je songeai au grand nombre de mouches bleues qui volent chez les bouchers, aux perce-oreilles du marché, aux vers de la campagne qui devaient être là attendant l’été prochain. Ceci me conduisit à me demander si quelques-uns de ces insectes tombaient quelquefois, et alors je m’imaginais sentir de petites chutes sur mon visage. Une suite de pensées désagréables me suggéra que j’avais un autre voisinage plus redoutable sur mon dos. Après être resté couché tout éveillé pendant un certain temps, les voix extraordinaires qui se dégagent du silence nocturne commencèrent à se faire entendre. Le cabinet murmurait, la cheminée soupirait, le petit lavabo craquait, et une corde de guitare vibrait de temps à autre dans la commode. Vers le même instant, les yeux sur la muraille prirent une nouvelle expression, et dans chacun de ces yeux indiscrets, je voyais écrit : NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS !

Toutes les fantaisies et les bruits de la nuit qui m’assiégeaient disaient le même refrain : NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS ! Cette phrase s’insinuait dans tout ce que je pensais, comme l’aurait fait une douleur physique. Il n’y avait pas longtemps, j’avais lu dans les journaux qu’un inconnu était venu aux Hummums dans la nuit, s’était mis au lit, s’était suicidé, et que le len-